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La voie du Japon en photolittérature - Numéro 4


On prendra ici le mot « Japon » au sens d’un objet culturel singulier, représentant une sorte de pôle de fascination de la part de l’Europe, tandis que cette dernière, au Japon, fut l’objet d’une attirance similaire, quoique asymétrique. Depuis au moins la fin du XIXe siècle, l’on sait que le Japon est davantage qu’un pays ou même une culture : dans L’autre face de la lune (2011), Claude Lévi-Strauss reprend la thèse selon laquelle, pour un « occidental », le Japon est une idée, celle d’un monde « tout-à-l’envers ». Loin de pouvoir entrer dans le cadre d’une esthétique du « divers », comme Victor Segalen l’avait suggéré à propos de la Chine, le Japon, ou l’idée de « Japon » incarnerait, si l’on reprend le titre d’un célèbre ouvrage de Roland Barthes, un tout autre « empire des signes » que celui sous l’emprise duquel l’on vit et pense en Europe. Or, historiquement, loin des clichés japonisants, l’entrée dans la « modernité » du Japon, à l’ère Meiji, est synchrone avec celle de cet Occident auquel, par commodité de pensée, on continue souvent de l’opposer. Dans Moderne sans être occidental(2016), Pierre-François Souyri expose comment, dès les années 1860, se structure un mouvement intellectuel favorable à des « Lumières » orientales, et comment apparaissent des mouvements féministes vigoureux, des reportages sur les « bas-fonds » où vivent les oubliés du progrès, ainsi qu’une opinion publique, dont Habermas notamment montra qu’elle est un élément clé de l’entrée en « modernité ». Par certains aspects, la critique japonaise de l’Occident se fait post-moderne, puisque dès le début du XXe siècle y apparaît le souci de ce que nous dénommons à présent « l’environnement ». Michael Lucken, dans Japon, l’archipel du sens (2016) et Le Japon grec (2019), dépasse magistralement les clivages, voire les blocages conceptuels instaurés par cette tradition de la fascination issue de l’opposition binaire entre Occident et Orient. L’exemple du portrait de l’empereur Meiji (Mutsuhito), peint en 1873 par Goseda, qui y introduit subtilement des touches du « réalisme » photographique, démontre que l’entrée en modernité pose d’emblée des questions de représentation (au sens politique aussi bien qu’artistique). Dix ans plus tôt, en 1863, Baudelaire publiait l’un de ses textes essentiels, sur Constantin Guys, « peintre de la vie moderne », artiste graphique couvrant la guerre de Crimée, et incarnation prémonitoire du reporter photographe, et plus « moderne » à ses yeux que ne l’étaient les premiers impressionnistes.


Si la Modernité se manifeste par une kyrielle d’inventions – le train, l’éclairage au gaz, l’électricité, etc. –, celle la photographie (introduite au Japon notamment grâce à l’un des frères vénitiens Beato) peut servir de marqueur de cette entrée en « modernité », qui fut peu ou prou traumatisante, y compris évidemment en France : là encore, il faut mentionner Baudelaire, et plus largement tous les débats où étaient imbriquées les questions de régimes esthétiques et politiques, notamment le dilemme entre l’art pour l’art et l’art pour le peuple, dilemme qui exista lui aussi au Japon vers 1880.


Cette proposition de recherche commune entre littérature et photographie, Europe et Japon, engage à revenir sur une histoire culturelle à la fois partagée et différente, partant toutefois de l’idée que l’invention de la Photographie fut à la fois un marqueur, un facteur et un acteur de la Modernité (J-P Montier, Littérature et Photographie, 2006).


Tandis que les arts japonais n’ont cessé de fasciner les artistes européens, tant pour leur sens plastique que pour la spiritualité sur laquelle ils reposaient ; tandis que les artistes et écrivains japonais ont cherché à puiser en « Occident » des sources de renouvellement afin d’affirmer la vigueur de leur civilisation, quels ont été les effets de la photographie et du nouveau régime de représentation qu’elle apportait sur l’évolution des œuvres artistiques et littéraires, tant côté européen que japonais ? Quels infléchissements des fonctions dévolues à la littérature, à la photographie ? Quels effets de retours, d’adaptation, d’appropriation, de reformulation, venant de l’occidentalisme assumé par des écrivains et photographes japonais, ou de l’orientalisme européen ? Comment repérer les mutations culturelles occasionnées par le couple photographie et littérature tel qu’il s’est configuré au Japon ? Entre écrivains et photographes européens et japonais, quels sont les points de convergence, les traces d’influences, les limites de compréhension, les bornes d’incompréhension, les dynamiques de création ?


Ce numéro consacré au Japon a été réalisé en collaboration entre Jean-Pierre Montier (Cellam, Rennes 2) et Masayuki Tsuda (Osaka University)


Articles

Philippe FOREST

En réponse à des questions de Jean-Pierre Montier

Atsuko SAKAKI

Robert Frank to and from Japan

Simon DANIELLOU

Motricité du texte lu dans Le Journal de Yunbogi (Nagisa Ōshima, 1965)

Charlène CLONTS

Gérard Bayo avec Manuela Böhme et Yôko Tawada : carto-graphies

Françoise NICOL

TOKYO, 1975 : L’artiste Shuzo Takiguchi sous l'objectif de Kiyoji Otsuji. Enquête sur une photographie

Jean-Pierre MONTIER

Photographie et poétique romanesque chez Tanizaki Jun’ichirō

Mana NAITO

Ombre lumineuse, le Japon lu par Hervé Guibert

Osamu MAEKAWA

Thinking Ghost Photography

Jelena STOJKOVIC

Resisting classification: Nonaka Yuri’s collages

Lilian FROGER

Concision, brièveté, ellipse : les photographies de Yamamoto Masao et le haiku

Masanori TSUKAMOTO

L'usage de la photographie documentaire — Autour de Yoshino kuzu de Jun'ichirô Tanizaki et d'« Ambros Adelwarth » (Les Émigrants) de W.G. Sebald

Lise GUIOT

« Le visage écrit » de Roland Barthes : une réponse par la photographie au théâtre et à la mort

Kohei KUWADA

L'homme-boîte de Kôbô Abe et le médium photographique

Shinzo HAYASHI

Photographie et Ukiyoe (illustration) dans La Sumida de Nagaï Kafû : le Pelléas et Mélisande japonais ?

Augustin BERQUE

Au-delà de Kipling