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Tadeusz Kantor, Andrej Matyma, Marie-Thérèse Vido-Rzewuska, Entretien de Tadeusz Kantor avec Andrej Matyma, Tadeusz Kantor à propos de la photographie

Résumé : Entretien de Tadeusz Kantor avec Andrej Matyma, traduction de Marie-Thérèse Vido-Rzewuska
mots-clés : Kantor, théâtre, mise en scène
Référence électronique : Tadeusz Kantor, Andrej Matyma, Marie-Thérèse Vido-Rzewuska . « Entretien de Tadeusz Kantor avec Andrej Matyma, Tadeusz Kantor à propos de la photographie », Revue internationale de Photolittérature n°2 [En ligne], mis en ligne le 15 décembre 2018, consulté le 26 avril 2024. URL : http://phlit.org/press/?articlerevue=tadeusz-kantor-a-propos-de-la-photographie-entretien-par-andrej-matyma-1987
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Entretien de Tadeusz Kantor avec Andrej Matyma, Tadeusz Kantor à propos de la photographie


« O fotografii z Tadeuszem Kantorem », Warszawa, Projekt, n°3, 1987


Projekt, Andrej Matyma : Professeur, quand avez-vous commencé à vous intéresser au médium qu’est la photographie ?


Tadeusz Kantor : Cela a commencé avec Maria Jarema. Je mène avec Elle un dialogue constant et comme nous avons travaillé très étroitement au début du Théâtre Cricot, ce dialogue est bien concret.  Maria avait un très mauvais rapport avec la photographie. Elle ne la supportait pas, elle affirmait que l’homme sur la photo était mort, que la photo est l’interruption de la vie humaine. Pendant un certain temps j’ai partagé ce point de vue mais, quand j’ai commencé à travailler sur La Classe Morte, j’ai découvert une autre conception : bien sûr, c’est ce moment où, soudain, l’homme qui est sur la photographie, pourrait raconter son histoire passée et son histoire future, mais il ne le peut pas. Et pour moi cette idée-là est devenue une forme théâtrale extrêmement fascinante.


Le mannequin justement…


Quand j’ai commencé à penser à Wielopole, j’ai eu en main une photo de recrues (au premier rang à gauche se trouve mon père). J’ai commencé à observer à la loupe chaque visage, car le visage contient toute la vie d’un homme. Le choix d’un instant par l’appareil photographique est un fait extraordinaire. L’appareil fait en sorte qu’un certain moment est immobilisé dans le temps. L’immobilisation dans le temps est fascinante car elle est impossible dans la réalité alors que la photo immobilise justement un instant.


Les artistes ont toujours rêvé de suspendre le temps. Le portrait n’est rien d’autre que cette suspension du temps.


A.M. Cette façon de penser est très proche de la notion bergsonienne de « durée » dans laquelle n’existe ni « l’avant » ni « l’après » mais seulement le « maintenant » qui est leur synthèse.


T.K. Pour moi c’est quelque chose de plus, car la synthèse est possible quand on prend de l’un et de l’autre côté et moi, c’est la notion de mort qui m’intrigue.


La mort est le moment où rien ne provient ni de l’un ni de l’autre côté. En art c’est une notion fascinante, c’est pourquoi j’ai apporté une correction au point de vue de Maria Jarema, mais je crois qu’elle l’aurait acceptée.


A.M. Vous vous êtes inspiré au cours de la création de Wielopole d’une photographie concrète mais aussi de ce que vous avez appelé « les clichés de la mémoire »  …


T.K. Dans le spectacle Wielopole, il était important de révéler et de montrer le fonctionnement de l’appareil de la mémoire. La mémoire est comme un fichier plein de clichés. Nous ne nous souvenons jamais d’une activité, car il faut une construction psychique particulière pour s’imaginer une action. Par contre si nous nous souvenons de quelque chose, c’est d’une image, statique certes, mais d’une image qui a son mouvement : elle apparaît et disparaît. J’ai appelé cela « la pulsation », la pulsation du cliché. Ma méthode de redoublements, de répétitions en fut la conséquence. De répétitions du même mouvement, de la même situation jusqu’au point où ils se dissolvent dans l’espace.


A.M. Vous avez dit un jour que les clichés de la mémoire sont transparents comme des négatifs photographiques…


T.K. Par la « transparence » j’obtiens une méthode théâtrale très importante. En effet si le cliché est transparent, lorsque je pose un second cliché dessus, totalement différent, d’une autre époque, ils commencent à se mélanger. Ce qui signifie que, sur la scène, je peux dérouler une situation qui est un cliché mais lorsque j’applique dessus un second cliché, la situation commence à changer. Un personnage peut en devenir un autre. Cela donne de grandes possibilités scéniques. Il y avait de telles actions dans le surréalisme, mais moi je les ai utilisées comme méthode (il faut avoir une méthode quand on travaille dans le théâtre) et cela donne des résultats magnifiques.


Dans le dernier spectacle, Qu’ils crèvent les artistes, j’ai tenté une situation (mais ensuite nous ne l’avons pas réalisée) quand un des personnages se transforme en un autre. Sous les yeux des spectateurs, il change de costume mais change en même temps son psychisme, son caractère. C’est un moment intéressant dans le jeu de l’acteur, lorsque persistent encore des restes du personnage précédent et que se glisse dessus le second personnage avec sa façon de parler, sa façon de se mouvoir etc…


A.M. Pour Wielopole vous vous êtes inspiré de photos de famille mais ce n’est pas un récit sur votre famille, c’est une grande synthèse de destins humains et c’est ainsi qu’il faut voir ce spectacle …


T.K. … et non comme une autobiographie. J’ai essayé sans cesse de l’expliquer aux critiques, car ni mon destin ni celui de ma famille n’intéressent quiconque, mais par contre chaque famille est, d’une certaine manière, typique.


J’ai d’une certaine façon « bestialisé » ma famille. Les membres de ma famille sont joués par des acteurs « du rang le plus bas », par des types d’un asile de nuit, d’une baraque de foire, par des types des plus basses sphères, presque de la rue, afin de détruire tout sentimentalisme familial et de ne laisser que l’essentiel des choses.


Pourquoi je ne mets pas en scène des pièces d’auteurs ? Parce que je considère que ce n’est pas la vérité, c’est-à-dire, pas ma vérité.


Si l’on présente une pièce de Słowacki, c’est la vérité de Słowacki et je ne croirai jamais que c’est la vérité d’un metteur en scène donné qui a monté la pièce de Słowacki. Le seul « livre » qui peut avoir des traits de vérité, c’est celui de ma propre vie et de ma propre mémoire.


Mais je ne veux pas le faire à la manière d’une chronique, créer un récit sur moi, sur ma famille… Je prends dans ma mémoire des restes (car ce ne sont toujours que des restes) je les présente honnêtement, je ne les relie même pas, car les relier serait déjà de la littérature et, pour moi, la littérature, avec tout le respect que j’ai pour ce genre, si elle est « utilisée » dans le théâtre par des metteurs en scène, n’est pas la vérité. Pour moi le critère de la vérité est extrêmement important, non pas dans le sens moral, mais la vérité qui existe dans la matière même de l’œuvre.


A.M. Votre œuvre « Portrait de ma mère » qui semblerait aussi très personnelle, je la conçois également comme une synthèse, une tentative d’atteindre l’essentiel de ce bagage que nous recevons de notre mère…


T.K. J’ai eu beaucoup d’ennuis avec ma famille lorsque j’ai exposé Portrait de ma mère, car ils considéraient que je l’avais « bestialisée ».


J’ai placé les images de ma mère, ses photographies, sur des petits sacs que l’on trouve sur les marchés et dans lesquels il peut y avoir des petits pois, des haricots verts, du blé. Dans ces petits sacs, il y avait de la terre. Je les ai disposés dans une boite que l’on peut présenter dans une boutique de bourgade, par exemple à Wielopole, on présentait des boites de ce genre dans les boutiques.


Or, à cause de ce « sacrilège », je réalise un acte de vérité. Il faut franchir une certaine ligne de convenances pour atteindre la vérité.


Lors de la première exposition, le Portrait de ma mèreétait jeté dans un coin, il n’était pas placé sur un monument, un socle, mais il arrivait que certaines personnes, plus sensibles, s’agenouillent. Cela voulait dire que j’avais obtenu l’effet que je veux toujours obtenir au théâtre : que les gens pleurent. Je souligne que ce ne peut être obtenu que par un acte de transgression de certaines conventions morales, psychiques…


A.M. Vous êtes revenu encore une fois vers cette méthode et vers la photographie dans l’autoportrait.


T.K. Là, j’agissais sur ma propre personne. J’ai rassemblé toutes mes photos : nourrisson, enfant, les années de lycée, à l’Académie des Beaux-Arts, durant l’occupation, après l’occupation, je devenais de plus en plus mûr, de plus en plus « vénérable* », digne, jusqu’aux dernières années. Evidemment, je ne pouvais donner comme dans Portrait de ma mère,une sépulture car je ne l’ai pas encore mais, par contre, j’ai réalisé la maquette de la tombe, de la sépulture, une sorte d’estrade, un peu théâtrale, entourée de drap noir. Là-dessus j’ai jeté mes portraits qui étaient aussi placés dans de vulgaires boites de carton dans lesquelles on achète des denrées. Mes portraits étaient également « outragés » car ils n’étaient pas encadrés, ni suspendus de façon convenable au mur mais étaient tout simplement jetés au fond.


A.M. Toutes ces actions liées à la photographie rejoignent sans doute votre conception de l’illusion issue de la réalité ?


T.K. Je ne sais pas si l’illusion nait de la réalité. Evidemment l’illusion doit avoir comme fondement, comme base, une réalité quelconque, mais l’illusion est une autre façon de procéder. La réalité est, elle existe, elle est située, elle dure, elle se développe, par contre l’illusion fait de cela un cliché qui n’est déjà plus la réalité. Nous pouvons manipuler le cliché. Nous sommes les maîtres de l’illusion. C’est pourquoi, si mon credo de base est la réalité, en tant qu’artiste l’illusion m’attire follement car là je me sens le maître.


A.M. Merci pour cet entretien.


* En français dans le texte


 


Entretien mené par Andrzej Matyma pour la revue Projekt


Traduit par Marie-Thérèse Vido-Rzewuska


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