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Jean-Frédéric de Lorimier, L’image amie : une collection photolittéraire québécoise

Résumé : Cet article s’intéresse à quatre œuvres de la collection « L’image amie » des Éditions J’ai VU du Centre VU, dédié à la photographie et à sa diffusion. Encore, il parcourt différentes mises en forme du dialogue photolittéraire et les collaborations les ayant produites. Il y est question de co-création impliquant écrivain-photographe, écrivain-trio d’artistes, photographe-écrivain et un écrivain avec huit photographes.
mots-clés : Photofiction, Québec, Collaboration, Éditions J’ai VU, L’image amie.
Référence électronique : Jean-Frédéric de Lorimier . « L’image amie : une collection photolittéraire québécoise », Revue internationale de Photolittérature n°3 [En ligne], mis en ligne le 19 mars 2021, consulté le 16 avril 2024. URL : http://phlit.org/press/?articlerevue=limage-amie-une-collection-photolitteraire-quebecoise
Auteur de l’article Abstract (EN)

L’image amie : une collection photolittéraire québécoise


Quelques exemples de couples créateurs


 


Au Québec, la photolittérature n’est pas exclusive aux maisons d’édition littéraire. Parfois, des œuvres paraissent dans des collections éphémères créées dans des centres consacrés à la photographie comme Dazibao basé à Montréal ou VU à Québec. Ce dernier « est un centre d’artistes autogéré dont la mission est de promouvoir et de soutenir la recherche et la création en travaillant avec les artistes en art actuel dans le domaine du photographique, tout en contribuant à faire rayonner leur travail et leur réflexion. » (VUphoto, 2020) Bien que publiant déjà depuis 1990, le centre créa en 1999 les Éditions J’ai VU dans l’objectif d’intensifier et d’orienter son travail éditorial. Des trois collections de la maison d’édition (L’image amie, Livre d’artiste, L’opposite), je m’intéresserai particulièrement à « L’image amie » puisqu’elle explore les relations entre photographie et création littéraire. Mieux encore, les Éditions J’ai VU la décrive comme un lieu où « écrivains et artistes participent à un dialogue en vue de générer une œuvre située aux confins des deux disciplines, là où leurs territoires se touchent et s’estompent. » (Art actuel, 2008) Avec des publications allant de 2000 à 2012 pour un total de quinze, cette collection regorge d’œuvres collaboratives. En fait, pas une seule n’est une création solitaire. L’éclectisme de la collection la rend d’autant plus intéressante puisque les formes, les pratiques, les coopérations et co-créations sont singulières. Ainsi, pour le bien de cet article je propose de m’arrêter sur quatre œuvres de la collection permettant d’aller à la rencontre de plusieurs pratiques du double (auteur-photographe, photographe-auteur, écrivain-artistes multidisciplinaires) autant qu’au dépassement de l’œuvre à « quatre mains » allant jusqu’à dix-huit.


 


Contrefaçon de la mémoire


Les fistons de Sylvain Hotte et BGL est un dialogue entre les notes lacunaires de la mémoire et cette qualité de témoin que possède la photographie assujettie au discours lui donnant accès. Bien que BGL soit un trio formé en 1996 et « connu pour ses installations déstabilisantes » (Hotte/BGL, 47), sa participation à l’œuvre est photographique (treize photographies) et unifiée, BGL étant une seule et même entité. Du côté du récit, Hotte raconte l’histoire de ce « je » obligé de revenir au domicile familial après avoir appris la mort de ses parents et le fait qu’il héritait du bungalow de son enfance. Histoire d’un retour à la maison qui met le narrateur dans une position de réminiscence, de confrontation avec son passé et la possibilité physique de finalement effacer d’où il vient. Il tentera à travers plusieurs analepses de se défaire de ses souvenirs, de s’en débarrasser, de les jeter dans un conteneur. « Bonjour, monsieur, que je lui dis, j’aimerais commander un conteneur pour le 2257, rue Bocage, à Longueuil. […] Le plus gros possible s’il vous plaît. » (Hotte/BGL, 14) La présence des photographies de BGL à travers ces souvenirs entraîne le lecteur à tenter de faire le même chemin que le narrateur. C’est-à-dire que n’étant pas des photographies de la maison, mais bien d’installations du trio, le lecteur doit tisser des liens entre le récit et ce qu’il lui est montré, tout comme s’il tentait de se souvenir lui-même du passé.



 


D’autant qu’il ne lui est pas dit dès le départ que les photographies ne sont pas liées directement au récit. D’ailleurs, la disposition des photographies au centre de l’œuvre, entre deux « parenthèses » de texte oblige le lecteur soit à se souvenir de ce qu’il a vu, soit à « revenir sur ses pages » pour ajouter du sens aux photographies ou leur lier du texte lu par la suite. Cette oscillation entre le textuel et le pictural ajoute au performatif de l’œuvre et rapproche l’expérience du lecteur de celle du spectateur sur les lieux d’une installation de BGL.


Le narrateur dans sa volonté d’effacer ses origines n’échappe pas à la nostalgie. Quand il parle de ses sœurs, il ne peut s’empêcher de raconter le passé. « Marie-Hélène et Natasha étaient fameuses sur la rue Bocage » (Hotte/BGL, 9) Il vient même à sourire lorsqu’il tombe sur un souvenir d’enfance heureux, photo à l’appui : « Je suis debout sur une grosse pierre et je tiens fièrement un poisson. J’ai les yeux qui brillent et un grand sourire. » (Hotte/BGL, 42) Un peu comme la madeleine de Proust, les souvenirs émergent lorsque le narrateur entre en contact avec certains objets ou photographies. « Il y avait une boîte tout au fond, derrière les bottes. Je l’ai retirée et j’ai renversé son contenu multicolore sur le tapis du salon […] Jacqueline aimait beaucoup organiser des anniversaires quand nous étions petits. » (Hotte/BGL, 35) Tout ce processus amène le « je » à se réconcilier avec la maison qu’il a toujours détester, qu’il a fui dès qu’il a pu, jusqu’à y retrouver ses racines, littéralement, en prenant la place vacante du peuplier de son enfance par une métamorphose spontanée : « Mes orteils n’étaient plus des orteils, mais des racines bien enfouies, qui cherchaient à s’enfoncer toujours un peu plus. […] Et tout mon corps, de ma tête jusqu’à mes chevilles, n’était plus qu’un tronc recouvert d’une écorce très ferme. » (Hotte/BGL, 44) Cela n’est pourtant pas la mort du protagoniste puisqu’il devient spectateur de la famille de sa sœur, nouvelle propriétaire de la maison, et surtout témoin des histoires à venir, à graver : « Il a gravé un cœur dans mon écorce et a écrit le nom de sa blonde » (Hotte/BGL, 45), voire à peupler.


 


Apparition, évocation et inspiration


Marx, la danseuse et la coupe Stanley est le fruit d’une collaboration entre André Barrette, photographe, et Rémi Ferland, professeur, éditeur et écrivain, provenant d’une simple proposition retranscrite au début du livre : « Bonjour Rémi, Époque 1975-1980 ça te va ? Un recueil, mais avec des textes de Rémi Ferland… » (Barrette/Ferland, 1) Fait intéressant, c’est le photographe ici qui demande à l’écrivain d’ajouter du texte à ses photographies. Résultat : l’œuvre commence par une photographie d’un calendrier et non le texte lui étant lié.



On y retrouve dix-sept photographies pour seize textes, le nombre n’étant pas égal puisque le texte « Taverne midway » (Barrette/Ferland, 22) suit deux photographies du même sujet. Dans cette œuvre, on s’éloigne de la fiction, voire de la « photofiction » (Edwards, 10), pour se rapprocher du témoignage inspiré par la photographie. Tous les textes de Rémi Ferland non seulement s’inspirent, mais indiquent aussi un élément présent sur l’image. À commencer par les titres qui, comme des punctum (Barthes, 71), ciblent un élément précis de la photographie avec des mots comme : calendrier, père noël, cireur, cordonnier, cinéma parisien, pour ne nommer qu’eux. Il n’y a pas d’unité dans la forme ou le style des textes. Par exemple, le récit « Calendrier » est surtout factuel et descriptif : « les motifs décoratifs du quotidien (ici la fresque, la lampe) prenaient des allures de visions de ‘voyage’. Par contre, un créneau conservateur se maintenait, représenté par le calendrier, qui contraste violemment » (Barrette/Ferland, 4).



 


Celui du « Cireur » est plutôt de l’ordre de la critique : « Toute la composition est éloquente, ces ombres, ces reflets sur le bois, le chrome, le cuir, même le crâne du cireur, qui suggère le poli du cirage comme résultat final de son travail. » (Barrette/Ferland, 14) Celui du « Cinéma parisien » du côté du témoignage personnel : « Pour moi la forme traduit intimement le propos, épouse le sentiment et l’expérience que j’avais de Montréal à cette époque » (Barrette/Ferland, 18).


Dans Marx, la danseuse et la coupe Stanley, la photographie apparaît comme un vecteur du souvenir, cette « source principale où l’on apprend à quoi ressemblait le passé et ce que contient le présent » (Sontag, 16), permettant la réapparition dans la mémoire de Rémi Ferland d’une époque passée. Malgré que ce soit le regard d’André Barrette auquel nous avons accès à travers les images, elles se font réapproprier par le texte de Ferland. Comme si Ferland devenait ce témoin finalement, cette tradition orale dont parle Kracauer (Kracauer, 28). Cela dit, le récit ne remplace pas la photographie. Il la bonifie, la commente, permet au lecteur de voir au-delà du cadre tout en restant sur le seuil avec, par exemple, un lexique de l’adresse (« Salut camarade André » (Barrette/Ferland, 32) et de la vue (« semble regarder dans ta direction » (Barrette/Ferland, 43). C’est au filtre de Ferland qu’a accès le lecteur et il l’explique à même le texte : « J’aime regarder des photos qui traduisent un monde, […] une réalité qui se révèle tout entière dans un instant. » (Barrette/Ferland, 40).


 


Fiction et potentialité


« Nous pourrions être à Paris dans l’un de ces escaliers où tant de scènes ont été filmées qu’elles en sont presque devenues un archétype du cinéma français ». Ainsi commence la quatrième de couverture de Projections d’Andrée A. Michaud et d’Angela Grauerholz. Cette idée même du possible, de la potentialité de l’image, du conditionnel aussi, est au cœur de cette œuvre. Avant même de l’avoir commencée, le lecteur est invité à voir plus loin que la photographie : « il suffit de fixer assez longtemps l’image pour avoir soudain l’impression que l’espace se distend, que la noirceur du gouffre s’ouvrant sous les escaliers s’appesantit, il suffit de fermer les yeux pour peu à peu entendre les cuivres angoissés de Bernard Herrmann et se retrouver dans le clocher d’une petite église […], c’est ce que nous dit la fiction » (Michaud/Grauerholz). On revient à une collaboration écrivaine et photographe, où la part d’Angela Grauerholz en tant que photographe n’est pas mentionnée en lien avec la création de l’œuvre. Cela n’empêche pas un dialogue serré entre le texte et l’image puisque les récits de Michaud s’y réfèrent explicitement. Treize textes et treize photos, dont la première est répétée deux fois.


 



L’œuvre débute avec une photographie floue représentant une foire déserte et ce qu’on devine être un carrousel fuyant le cadre, puis, deux titres : « Merry-go-round » et « Le lieu des origines ». L’image même du carrousel, revenant toujours à sa position initiale côtoie le point de départ, l’origine, là où tout a commencé. À cela s’oppose un discours de la disparition : « Le lieu des origines se dépeuple […] Le lieu des origines s’estompe, vacille dans l’épuisement du souvenir, la mémoire fatiguée entend mollement » (Michaud/Grauerholz, 3). C’est d’ailleurs l’imparfait qui joint le récit à la photographie avec : « L’action se déroulait sur un terrain de foire. » (Michaud/Grauerholz, 3) Or, ce rapport direct à la photographie est détourné dès que la narratrice mentionne ne se souvenir de « presque rien, ni du titre du film, ni de l’intrigue ». L’origine est ébranlée en questionnant la nature du sujet. S’agit-il d’un arrêt sur image d’une projection cinématographique, d’autant que le titre de l’œuvre est « projections » ? Est-ce une photographie à la mise au point floue ? Le lecteur est laissé avec ces questionnements et un lexique axé plutôt sur le cinéma que la photographie (« l’action », « acteur isolé », « caméra », « écran », « gros plan », « bobine »). D’ailleurs le premier texte se termine sur une répétition, marquée par un changement typographique, l’un étant en italique et entre parenthèses, et abordant le temps, notion incontournable du sujet photographique : « puis la bobine se cassait, et le dévidement du temps n’était plus que spirale (et le dévidement du temps n’était plus que spirale). » (Michaud/Grauerholz, 4) Le temps ici n’est pas circulaire comme le carrousel. Il est en spirale ce qui sous-entend une progression cyclique, une itération avec changement. S’opposant à la fixité de la photographie, l’œuvre tente d’insérer du mouvement dans l’image. Par exemple, le flou de la première marquant « l’épuisement du souvenir ». Si la photographie projette son sujet au lecteur, laisse entrevoir sa potentialité fictionnelle, le texte de Michaud exige que le lecteur fasse de même et qu’il insinue du mouvement dans l’immobilité.



Le récit « Fenêtre d’hiver/Du sang sur Venise » oriente la lecture afin de s’éloigner de la photographie : « La caméra partirait dans un lent travelling arrière, jusqu’à ce que la fenêtre ne soit plus qu’un minuscule point de clarté dans l’irrémédiable nudité des lieux » (Michaud/Grauerholz, 6). Cette lecture « performative » n’est pas exclusive au rapport texte/image puisqu’à même le texte, il y a des passages intercalés, en italique ou entre parenthèses, demandant au lecteur d’arrêter le fil du récit pour se retrouver ailleurs, dans une description de scène de film, dans un discours métacritique du travail de l’écrivaine ou encore dans une réflexion de l’auteure vis-à-vis la fiction : « La fiction n’invente pas toujours. Elle prend, reçoit, se conforme aux contours de l’image d’où elle tire son origine. » (Michaud/Grauerholz, 15) Cette source, ou origine, dont s’inspire la fiction, qu’elle soit photographique, mémorielle ou encore expérientielle n’est pas fixe. Par le principe d’itération, Andrée A. Michaud travaille en boucle, en carrousel son écriture et son rapport à la photographie dans Projections. Le paragraphe débutant par « Le lieu des origines » apparaît à quatre reprises. Les trois premières fois « le lieu des origines se dépeuple ». La dernière fois « le lieu des origines se lézarde », victime de sa répétition.


 


Double Légende


            Légendes d’Herménégilde Chiasson est la première parution de la collection L’image amie et met en scène un tout autre type de collaboration. Il s’agit d’une œuvre écrite par Chiasson avec la participation de huit photographes pour huit légendes. Réelle mise en abîme du projet de la collection L’image amie, les récits proviennent d’une résidence d’écriture de deux semaines effectuée par Chiasson au centre VU. « Dans le cadre de cette première résidence d’écriture au sein de cette collection, huit photographes ont eu l’occasion de faire découvrir à Herménégilde Chiasson plusieurs aspects méconnus de leur production respective. » (Chiasson, 38) Ainsi, les textes ne s’inspirent pas de la photographie comme c’était le cas pour Marx, la danseuse et la coupe Stanley. Ils ne travaillent pas non plus son potentiel fictionnel comme Projections ou bien ne contiennent pas de métadiscours sur le rapport texte/image. Il n’y est pas question d’un récit sur la mémoire et le souvenir. Chaque « légende » est autonome dans sa narration, son sujet et son rapport à la photographie. L’inspiration de l’écriture de Chiasson lui est venue de la rencontre avec le ou la photographe et leur production. C’est à partir de cet échange que les légendes sont nées. « Au terme de la rédaction de chacun des huit textes, il a tenu à laisser aux artistes le soin de choisir eux-mêmes la photographie à reproduire dans la publication. » (39) Une légende étant un « récit à caractère merveilleux, ayant parfois pour thème des faits et des événements plus ou moins historiques mais dont la réalité a été déformée et amplifiée par l’imagination populaire ou littéraire » (ATILF, 2020), le titre possède alors une double sémantique puisque les récits deviennent les légendes de ces photographies et gardent cet aspect merveilleux des contes et légendes dans leur histoire. « Il marcha des années, il marcha des siècles. » (Chiasson, 5)


 



Cette notion de double est d’ailleurs reprise dans la première photographie de l’œuvre, celle d’Ivan Binet, où l’on voit deux femmes, l’une étant le reflet de l’autre, mais dont les pieds se touchant sur le même horizon ne permettent pas de distinguer le haut du bas, voire quel ciel est le reflet de l’autre. (6) Choix intéressant de photographie pour commencer une œuvre photolittéraire puisque le sujet se tient debout sur la limite des deux mondes, sur le seuil entre sa réalité et celle de son reflet, entre sa subjectivité et sa projection. Les bras croisés dans l’attente, « tandis que tu marchais dans la nuit et que je t’attendais à la barre du jour ? Où étais-tu ? » (7), c’est au lecteur de choisir entre les deux réalités, advenant qu’il y ait un choix à faire. Contrairement aux œuvres précédentes où la trajectoire créatrice partait majoritairement de la photographie, c’est plutôt l’inverse dans Légendes. C’est au regard du photographe, porté vers le texte, à son interprétation, auquel on a droit. « Leurs photographies, loin d’être de simples et frileux prétextes (je souligne ici le terme, pouvant aussi le lire comme pré-texte) à l’écrit, démontrent au contraire le formidable pouvoir qu’elles ont de générer de la fiction » (39), affirme Marie-Lucie Crépeau à la fin de l’œuvre. Dans cette perspective, la réflexion du lecteur, ou sa réflection, change l’angle de lecture des textes. Par exemple, la légende Son manteau bleu raconte de manière spiralée le pouvoir d’évocation d’un simple objet du quotidien « plus réel que ces photographies qui nous promettent la vie sans espoir de la retrouver aussi intacte et prenante que celle qui éclate par bribes dans nos images intérieures » (17). À travers cinq paragraphes à rebours, passant d’un « il » à un « elle », tous différents, c’est le manteau bleu qui lie les cinq petites histoires à saveur de nostalgie, de drame et d’amour. On remonte le temps par la parole et le regard d’un masculin et d’un féminin qui au tout début se sont séparés à cause de la guerre. « Cette nuit-là, sur le quai de la gare, quand il s’est retourné pour la voir une dernière fois dans le manteau qu’elle portait ». (18) La récurrence du manteau crée une forme d’attente lorsque la photographie se révèle. Or, il n’en est rien. Pas de manteau. Il y a un canot avec deux silhouettes à son bord.


 



Il n’est pas question d’illustrer le récit. Tel que mentionné précédemment, le texte n’est pas inspiré de la photographie. Ainsi, elle en est le prolongement. On pourrait se dire que l’image est celle de ce couple avant la guerre, avant « cet enfant qui survivrait comme un monument à leur amour. » (18) et donc, qu’elle est aussi à rebours, comme tout le reste de la légende. Comme le serait un jardin d’hiver.


 


L’image amie


Enfin, si les territoires de la photolittérature varient d’une œuvre à l’autre parmi les quatre dont il a été question précédemment, cela est loin d’être une description exhaustive des diverses collaborations d’artistes de la collection L’image amie. Bien qu’étant un centre dédié à la photographie avant tout, il est clair que le texte n’est pas qu’un simple récit explicatif, là pour aider à comprendre ce que représente la photographie. Un réel rapport dialogique s’installe entre texte et image, autant par la critique que le commentaire et la fiction. L’image se retrouve autant dans le visuel que dans le langage et participe à la porosité des frontières communes. Les neuf autres œuvres n’y font pas exception. Des œuvres comme Chute de Geneviève Robitaille et Ivan Binet ou Îles et profils de Laurier Lacroix et Jacqueline Salmon posent la question du territoire autant créatif que physique. Cour des miracles de Benoît Jutras et Alain Lefort fait se côtoyer la poésie et le poétique des papillons. Ma belle ombre de Natalie Jean et Manon De Pauw se trouve du côté de l’abstraction et bien sûr j’en passe. C’est Marie Lucie Crépeau qui écrit à la fin de Légendes : « l’expérience, il va sans dire, repose sur un échange entre des créateurs et deux formes d’expression : le texte et l’image. Ce processus n’est pas vain car il entend produire des cohabitations inopinées, susceptibles d’étonner. » (Chiasson, 38)


Jean-Frédéric de Lorimier, Université de Montréal


 


 


Bibliographie


Barthes, Roland, La chambre claire. Note sur la photographie, Paris, Gallimard-Seuil-Cahiers du Cinéma, 1980.


Edwards, Paul, Soleil noir. Photographie et littérature, des origines au surréalisme, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008.


Kracauer, Siegfried, Sur le seuil du temps : essais sur la photographie, Montréal, coll. « Pensée allemande et européenne », Les Presses de l’Université de Montréal, 2013.


Sontag, Susan, Sur la photographie, Paris, Christian Bourgeois éditeur, 2000 [traduit de l’anglais : On Photography, 1973].


 


Collection L’image amie


Michaud, Andrée et Angela Grauerholz, Projections, Québec, Coll. L’image amie, Éditions J’ai VU, 2003.


Barrette, André et Rémi Ferland, Marx, la danseuse et la coupe stanley, Québec, Coll. L’image amie, Éditions J’ai VU, 2010.


Binet, Ivan et Geneviève Robitaille, CHUTE, Québec, Coll. L’image amie, Éditions J’ai VU, 2006.


Chiasson, Herménégilde, Légendes, Québec, Coll. L’image amie, Éditions J’ai VU, 2000.


Cliche, Sébastien et Serge Lamothe, Le nid de l’aigle, Québec, Coll. L’image amie, Éditions J’ai VU, 2010.


De Pauw Manon et Natalie Jean, Ma belle ombre, Québec, Coll. L’image amie, Éditions J’ai VU, 2011.


Flomen, Michael et Denis Samson, Dormance et métamorphoses de l’œil, Québec, Coll. L’image amie, Éditions J’ai VU, 2005.


Giguère, Yan et André Ricard, Le canal, Québec, Coll. L’image amie, Éditions J’ai VU, 2011.


Homel, David et John Max, Le monde est un document, Québec, Coll. L’image amie, Éditions J’ai VU, 2002.


Hotte, Sylvain et BGL, Les fistons, Québec, Coll. L’image amie, Éditions J’ai VU, 2008.


Jutras, Benoit et Alain Lefort, La cour des miracles/Court of miracles, Québec, Coll. L’image amie, Éditions J’ai VU, 2012.


Kivland, Sharon et Cheryl Sourkes, Tons of webcammer babes/Des beautés webcam à la tonne, Québec, Coll. L’image amie, Éditions J’ai VU, 2009.


Lacroix, Laurier et Jacqueline Salmon, Îles et profils, Québec, Coll. L’image amie, Éditions J’ai VU, 2008.


Massé, Sophie et Doyon-Rivest, Le siècle des lumières, Québec, Coll. L’image amie, Éditions J’ai VU, 2009.


Péan, Stanley et François Lamontagne, Cette étrangeté coutumière, Québec, Coll. L’image amie, Éditions J’ai VU, 2001.


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