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Servanne Monjour, La révélation : archéologie d’une métaphore photolittéraire
La révélation : archéologie d’une métaphore photolittéraire
Née dans l’antre du photographe, la chambre noire, la révélation photographique désigne ce processus chimique par lequel l’image latente, invisible, est transformée en image visible. Bien vite, le procédé chimique nourrit l’imaginaire du fait photographique, prêtant au médium toutes sortes de pouvoirs, où l’appareil vient notamment surpasser les facultés de l’œil humain en percevant l’au-delà des apparences – sinon l’au-delà lui-même, comme ce fut notamment le cas avec la photographie spirite. Particulièrement connotée dans le contexte francophone[1], la notion de révélation est symptomatique du paradoxe ontologique de la photographie : au nom d’une prétendue faculté objectivante de l’appareil, de la technique et de la chimie, émergent une série de fantasmes prêtant au fait photographique des propriétés et des finalités qui ont tôt fait de transporter l’imaginaire du médium du côté de la magie, du surnaturel et même du sacré. Les écrivains se sont très tôt emparés de ce motif de la révélation, qui formait un embrayeur fictionnel des plus efficaces, mais qui évoquait aussi leur propre travail de création littéraire. Sans surprise, la critique et la théorie ont à leur tour exploité le motif pour tenter d’expliciter la nature, les effets ou les fonctions du médium photographique. À cet égard, la révélation est un concept essentiel en photolittérature – comprise comme un corpus littéraire, mais aussi comme un champ d’études – et constitue l’un des piliers d’une mythologie du fait photographique.
Cet article se présentera comme un album des révélations photolittéraires – car elles sont en effet multiples, partagent un même « génome » tout développant leur singularité (mnémonique, mystique, poétique, heuristique…) pour former un paradigme complexe – opérant une sélection parmi les textes littéraires, théoriques ou critiques de la photolittérature, afin d’illustrer la richesse d’une métaphore photographique rapidement devenue une métaphore de la photographie, non sans quelques contradictions. Si l’on évoquera bien sûr des « classiques » photolittéraires (Barthes, Garat), certains auteurs mentionnés pourront surprendre : Georges Duhamel, auteur sans doute un brin oublié, qui est pourtant l’un des premiers à déployer la métaphore de la révélation photographique dans le cadre d’une réflexion sur l’écriture. De même Paul Claudel – dont la sœur Camille a laissé une trace essentielle dans l’histoire des arts visuels – qui commenta avec passion l’un des événements les plus marquants de l’imaginaire de la photographie : l’image du Suaire de Turin. Signe que la mythologie du fait photographique dont nous parlons n’est pas qu’une construction essentiellement littéraire, romanesque et poétique, nous évoquerons la fameuse planche VIII de The Pencil of Nature, dans laquelle Talbot, qui considérait pourtant la photographie comme le résultat de la seule action de la nature – sans intervention ni intention créatrice de l’homme[2] – se laisse aller à en fantasmer les développements techniques à venir, dans un texte sur le fil de la fiction. Fictions, mémoires, correspondances, essais critiques ou théoriques, la variété des textes évoqués ici – de même que leur ancrage – pourrait passer pour un manque de rigueur méthodologique. Au contraire, elle est essentielle à la perspective archéologique adoptée pour l’occasion[3], et permet de mieux saisir la porosité entre les récits photolittéraires, à la base de l’élaboration d’une mythologie dont on se doit de revaloriser l’influence dans la construction du médium photographique.
Prolégomènes La révélation : entre technique et discours, la double invention de la photographie (Barthes)
Si les récits photolittéraires constituent l’observatoire idéal de cette problématique de la révélation, ils en sont aussi et surtout le laboratoire. En cultivant les potentialités poétiques de la révélation, les écrivains ont en effet radicalement agi sur l’imaginaire de la photographie et, par conséquent, sur l’invention de la photographie elle-même dont ils ont déterminé les usages, la réception, les développements. L’approche photolittéraire repose de fait sur la conviction que le médium photographique est le fruit d’une double invention : celle des techniques et des procédures effectives de création des images (chimiques, mécaniques, et aujourd’hui informatiques) ; mais aussi celle des différents discours sur ces techniques, qui conditionnent tout autant la création que la réception des images (photographiques, cinématographiques, numériques). Ce sont ces deux aspects qu’il s’agira de faire dialoguer dans cet article, au-delà de la seule perspective sémiotique (qu’est-ce que l’image représente ? quelles sont les significations de sa composition plastique ?), en favorisant plutôt une réflexion intermédiale ou encore archéologique (comment les spécificités techniques du médium, sa matérialité, ses institutions et ses usages, déterminent-elles le sens de l’image ?).
La révélation photographique est un cas paradigmatique de cette double – mais complémentaire, bien que parfois conflictuelle – construction du médium. Rappelons d’ailleurs qu’avant même de se parer de connotations issues de sa nature chimique, la révélation est d’abord un concept théologico-littéraire fondamental que la photographie s’est approprié peu après son invention. C’est pourquoi le concept de révélation, dont on relève la présence, tantôt manifeste, tantôt latente, dans des dizaines de récits photolittéraires, est aussi riche que complexe à saisir. Sous la plume des écrivains, la révélation est rapidement devenue une métaphore photographique autant qu’une métaphore du fait photographique. Mais ce procédé chimique et technique n’était justement pas ou peu assimilé par les écrivains. C’est que le terme évoquait déjà, par delà l’opération technique en chambre noire, un imaginaire particulièrement fécond. La révélation photographique est donc tout autant le fruit d’une construction discursive que de la réaction chimique provoquée par les ions d’argent, ou que de la manipulation technique du photographe en chambre noire. À l’articulation de ces différentes sources, elle constitue le point névralgique d’une mythologie du médium photographique.
La raison première en est la relation métonymique qui s’est tissée entre la révélation et le médium. Dans ce qui apparaît aujourd’hui comme l’un des textes photolittéraires les plus importants, La Chambre claire, Roland Barthes écrit ainsi :
On dit souvent que ce sont les peintres qui ont inventé la Photographie (en lui transmettant le cadrage, la perspective albertienne et l’optique de la camera obscura). Je dis : non, ce sont les chimistes.
Il paraît qu’en latin « photographie » se dirait « imago lucis opera expressa » ; c’est-à-dire : image révélée « sortie », « montée », « exprimée » (comme le jus d’un citron) par l’action de la lumière. Et si la photographie appartenait à un monde qui ait encore quelque sensibilité au mythe, on ne manquerait pas d’exulter devant la richesse du symbole : le corps aimé est immortalisé par la médiation d’un métal précieux, l’argent (monument et luxe) ; à quoi on ajouterait l’idée que ce métal, comme tous les métaux de l’alchimie, est vivant[4].
En opérant ce glissement de la chimie à l’alchimie, de la procédure laborantine au mythe (qui d’ailleurs la précède), Barthes souligne l’analogie qui s’opère à travers ce motif de la révélation : tout comme la photographie est révélée par l’action de la chimie, elle doit à son tour susciter une expérience de révélation. Cette expérience sera épiphanique pour Barthes, qui « retrouve » l’essence de sa mère grâce à la photo du jardin d’hiver, un cliché sur lequel elle apparaît en petite fille, comme il ne l’a pourtant jamais connue. Selon Barthes, la révélation est en effet mystérieuse et mystique, elle excède la simple fonction testimoniale de l’image et nous amène à questionner le principe même de référentialité. Les grands récits de révélation, à cet égard, engagent toujours une réflexion ontologique, questionnant la réalité du réel à travers des photographies qui ne se laissent guère lire comme de simples « preuve à l’appui », à la façon du roman policier : de Jules Claretie[5] à Julio Cortázar[6], la preuve par l’image échoue et vient s’ajouter à l’opacité du réel. De ce point de vue, ce sont d’abord des heuristiques de la révélation qui se dessinent dans les récits photolittéraires, participant à l’enrichissement progressif de la métaphore.
L’invention d’une métaphore de la révélation photographique (Duhamel)
La métaphore, plutôt facile il est vrai, de la « révélation » par l’image photographique – ou à la manière de l’image photographique – semble à ce point évidente que l’on se passe en règle générale d’en justifier la pertinence ou d’en chercher l’origine précise. Bien entendu, elle renvoie à l’action du révélateur chimique par lequel l’image latente se transforme en image visible. À partir de là, le sens exact de la métaphore, ainsi que ses connotations, peuvent varier, mais l’origine chimique ne fait aucun doute. C’est pourtant bien dans la chambre noire du photographe qu’il nous faut débuter notre enquête, car si la métaphore de la révélation semble à ce point instable, c’est qu’elle est elle-même issue d’un premier glissement sémantique, vraisemblablement réalisé par les photographes. Cet emprunt est en tout état de cause une preuve à l’appui de cette double invention de la photographie : il ne fait aucun doute que le choix de ce terme, doté de fortes connotations littéraires et mystiques, allait exercer une forte influence sur les pratiques et la réception du médium.
La naissance de la révélation photographique a lieu quelques années après l’invention de Niepce et Daguerre : l’expression semble n’apparaître dans aucun des grands « textes fondateurs », bien que le phénomène de la révélation y soit régulièrement décrit[7]. Arago, en appendice à son Rapport à l’Académie Française, explique ainsi le processus par lequel la plaque métallique, après son exposition aux rayons lumineux, doit être déposée « sous un angle de 45 degrés, dans une boîte au fond de laquelle il y a du mercure dans une capsule. On chauffe le mercure jusqu’à 55 ou 60°. Le dessin jusque-là invisible apparaît peu à peu, par suite de la volatilisation du métal. » Cet exposé technique de la révélation photographique qui ne porte pas encore son nom fait l’objet d’une sobriété assez surprenante au regard du discours dithyrambique qui le précède. Après avoir retracé et célébré comme il se doit l’épopée que fut l’invention de la photographie, innovation pleine de promesses dont la France fait généreusement don au reste du monde, Arago change de ton et cède la place à des considérations essentiellement techniques, comme si la rigueur et la précision scientifiques ne toléraient pas le moindre effet de langage.
Pourtant, en toute logique, c’est certainement à l’issue d’une lecture déjà métaphorique que l’agent chimique grâce auquel l’image apparaît s’est trouvé qualifié de « révélateur ». Le rapport analogique est évident : dans son acception classique, héritée du verbe latin revelare (littéralement, « lever le voile ») la révélation désigne l’action de faire connaître ce qui est caché, et le révélateur l’individu qui accomplit cet acte[8]. Dès les années 1850, l’usage du bain révélateur ou de l’agent révélateur se banalise dans les revues et les ouvrages spécialisés, sans doute avec l’apparition et le développement des procédés au collodion. Peu à peu, le qualificatif gagne même son autonomie et, pour la première fois en 1895, le substantif révélateur entre dans le dictionnaire, comme « terme de photographie » à part entière, désignant le « corps qui fait apparaître l’image latente, formée par la lumière, sur une surface sensible[9] ». Généralement utilisé pour définir un ensemble de solutions chimiques (iconogène ; mercure ; pyrocatéchine…), le révélateur reste un terme technique, intégré et réservé au jargon scientifique avant tout.
Si l’on peut facilement retrouver, dans la fiction littéraire notamment, la trace d’un imaginaire de la révélation par l’image – les récits fantastiques du XIXe siècle ont largement exploité cette idée – la première occurrence explicite à la révélation photographique et à son potentiel métaphorique est assez tardive et presque anecdotique[10]. On la rencontre en effet sous la plume de Georges Duhamel, auteur qui ne soulève plus guère aujourd’hui grand enthousiasme, dans un ouvrage qui ne fait état d’aucune ambition photolittéraire à vrai dire, au hasard d’une réflexion sur les mécanismes de la mémoire. Dans ses mémoires, Georges Duhamel compare ainsi le travail d’anamnèse à celui que le photographe exerce en chambre noire :
Je cherche un nom propre, par exemple, le nom d’une personne que j’ai connue à Montevideo, ou que j’ai rencontrée pendant la guerre, à Verdun, ou que je fréquentais en Espagne. Il m’est vraiment impossible, pour solliciter ma mémoire fléchissante, de refaire le voyage et de me replacer dans des conditions extérieures, dans des circonstances morales qui n’ont plus aucune chance d’être réunies jamais ! […] Sur un certain vestige, l’esprit se met à la besogne. Cela peut durer deux heures, cela peut durer deux jours : je lâche rarement prise. Je peux aller, venir, soutenir un entretien : le lent et minutieux travail s’accomplit. On aurait tort de croire qu’il est involontaire, automatique. Il est, au contraire, tout à fait délibéré. Sans arrêt, l’esprit en éveil présente, autour de cette lueur vacillante, autour de cet indice incertain, des images et des souvenirs précis, susceptibles de déterminer une révélation totale – j’entends ce mot au sens où l’emploient les photographes[11].
La révélation du passé, du souvenir, n’est alors pas encore celle que Roland Barthes décrira à l’occasion de l’expérience épiphanique suscitée par la photographie, en l’occurrence la Photo du Jardin d’Hiver, mais bien un exercice de longue haleine, réalisé dans un état de concentration extrême à la frontière d’un état de méditation, à la manière de la photographie.
La « révélation totale » à laquelle Duhamel se réfère est en vérité assez énigmatique. Si l’on comprend la rigueur, la patience et la ténacité que l’exercice mnésique exige, l’auteur n’éclaire pas davantage le choix d’une telle comparaison avec le dispositif photochimique. En précisant qu’il s’agit d’une révélation « au sens où l’emploient les photographes », Duhamel lui reconnaît une originalité particulière concédée par le médium, où elle ne concerne plus tout à fait, ou plus seulement, le dévoilement d’une vérité volontairement dissimulée. La procédure photochimique, qui développe et parachève une image encore non-visible, invoque une activité intellectuelle intense, un acte perceptif complexe, peut-être même une fonction cognitive. Ainsi, tandis que la révélation dans son acception « classique » (soit non-photographique) joue de l’écart entre le dissimulé et l’évidence, souvent sur fond d’interdit (on révèle un secret, un complot), la révélation photographique joue d’abord des interférences entre le visible et l’invisible.
C’est ici que le concept photographique de révélation doit se comprendre à la lumière du processus global de développement de l’image. À ce titre, on notera que l’anglais, seconde langue maternelle du fait photographique, préfère à ces termes l’expression developing (bath), moins chargée d’encombrantes connotations. Tout comme en allemand (entwicklung), development désigne à la fois l’ensemble des manipulations en chambre noire, et plus spécifiquement, l’opération d’immersion de l’image latente dans une solution chimique. Il semblerait alors que la « révélation » soit d’abord l’affaire des langues romanes, du français, de l’espagnol (revelado) ou encore de l’italien (rivelazione). Pourtant, développement et révélation sont d’abord connectés par un objet similaire, le voile, autour duquel ils déploient deux mouvements distincts : tandis que le premier rappelle le jeu d’enroulement et déroulement du tissu (par extension, du film photographique), le second évoque un principe de recouvrement / découvrement par ce même morceau de tissu. À cet égard, il serait peu pertinent d’opposer radicalement développement et révélation, qu’il n’est d’ailleurs pas rare devoir surgir l’un à côté de l’autre. Talbot lui-même associait déjà le travail de développement en chambre noire à l’idée de révélation dans un passage de The Pencil of Nature (« A Scene in a Library »)[12]. Aussi, cette tension initiale entre les deux termes s’avère essentielle pour comprendre cette heuristique de la révélation photographique selon laquelle l’image inspire des lectures inédites du monde, sans jamais se laisser prêter à un déchiffrement absolu.
En intégrant à leur jargon le révélateur, puis la révélation, les premiers photographes ont joué sur un terme déjà polysémique auquel ils ont injecté une signification technique qui allait devenir le lit de nombreuses lectures métaphoriques. Certes, ces réécritures de la révélation méconnaissent bien souvent le véritable fonctionnement des révélateurs chimiques, et n’ont qu’une vision tronquée du processus de production et de développement des images, remplacé par une représentation fantasmée de la chambre noire, laboratoire mystérieux où se mêlent la manipulation scientifique et le geste magique. En opérant, à partir de cette définition trouble, un second glissement sémantique pour comparer cette fois le processus mnémonique de l’écrivain – du mémorialiste – à celui de l’apparition de l’image latente, Duhamel est le premier à œuvrer explicitement en faveur d’une métaphore de la révélation photographique comprise comme un mode singulier d’accès à la connaissance. Bien évidemment, entre le moment où les photographes appelèrent « révélation » ce processus chimique par lequel l’image latente devient progressivement apparente, et celui où Duhamel employa le terme « dans un sens photographique » pour décrire et désigner ce lent processus de remémoration, la littérature aura forgé de nombreux récits spéculant sur les capacités de l’image à révéler le réel. Mais bien que la fiction ait depuis longtemps investi la puissance testimoniale de l’image pour en faire un élément clé du récit (facteur de résolution d’une intrigue ou, au contraire, élément perturbateur), Duhamel entérine un nouveau déplacement de la révélation conçue comme un processus heuristique singulier. En s’appropriant ainsi la révélation des photographes, il entraîne au passage tout un imaginaire paradoxal de la chambre noire – partagé entre une illusion d’objectivité technique (celle des procédures chimiques et de l’action « naturelle » de la lumière) et les pouvoirs fantasmés de cette même technique, encore mystérieuse et magique, et ô combien mystique.
« Plus qu’une image, c’est une présence ! » : une (ré)invention photographique du Suaire de Turin (Claudel)
Si la révélation est un concept aussi paradoxal, qui vient objectiver le médium photographique autant que lui conférer une part de mystère – voire de mysticisme – c’est qu’elle est avant tout un concept théologico-littéraire. Il n’est peut-être pas de meilleur exemple de cet aspect que l’anecdote de la photographie du Suaire de Turin par Secondo Pia. À la fin du XIXe siècle, la photographie vient en effet relancer le débat autour du célèbre Linceul qui aurait entouré le corps du Christ après sa mort. Opposant théologiens, scientifiques, photographes, écrivains, croyants et non-croyant, ce débat qui dure depuis plus d’un siècle éclaire les paradoxes et la complexité de l’imaginaire ontologique de la photographie.
En 1898, le photographe italien Secondo Pia obtient l’autorisation de photographier pour la première fois le Suaire de Turin – relique aux origines bien douteuses, contestée au sein même de la communauté chrétienne. Le récit forgé à partir de son aventure compte parmi les nombreux récits photographiques de la révélation : nous sommes le 28 mai 1898, le Suaire est exceptionnellement exposé au public dans le cadre des festivités qui entourent le mariage du futur roi Victor-Emmanuel avec Hélène de Monténégro. Les pèlerins affluent en masse autour de la relique, et Secondo doit patiemment attendre que la cathédrale se vide. Alors qu’il est déjà près de minuit, le photographe effectue enfin les derniers réglages de son appareil, prend le linceul en photo, et se précipite dans sa chambre noire. Il plonge enfin sa plaque de verre dans le révélateur et voit alors apparaître très clairement un visage. En cet instant, Secondo Pia devient le premier photographe du Christ.
Si les photographies de Pia – l’image positive, mais surtout son négatif – prennent une telle importance, c’est que le linceul de Turin ne nous montre, à vrai dire, pas grand-chose d’autre qu’un ensemble de taches : l’image, l’empreinte du corps, est à peine perceptible. Par contre, la plaque de verre que Pia sort du bain révélateur présente un visage incroyablement net et détaillé. Les différents commentateurs vont ainsi immédiatement assimiler le drap à une image déjà inversée, c’est-à-dire à un « négatif » dont la plaque de verre révélée par Secondo Pia (soit, le véritable négatif photographique) serait le positif… Ce phénomène fournit aux sindonologistes la preuve de l’authenticité du linceul : même l’artiste le plus génial de son temps – certains ont vu dans le Suaire l’œuvre de Léonard de Vinci – ne pourrait orchestrer une telle supercherie, puisque le principe même du négatif photographique a été inventé en 1839. La fonction testimoniale de la photographie, empreinte du réel, confère alors au Suaire-Négatif un surcroît d’autorité. Bien entendu, de nombreux scientifiques, médecins, spécialistes de la photographie et historiens de l’art (même la NASA s’est attelée à la tâche[13]) se sont succédé pour mettre au jour, chacun selon son domaine d’expertise, les ficelles de la supercherie – et l’on doit très certainement louer leur démarche. Mais, avant même de livrer le Linceul à des analyses chimiques complexes, aux rayons ultraviolets, à la lumière infrarouge et au carbone 14… on peut s’étonner de voir systématiquement réapparaître le jargon de la photographie dans les études sindonologiques.
Car après l’expérience de Secondo Pia, le Suaire sera presque exclusivement considéré comme un « négatif » (tout comme le révélateur, le négatif est un adjectif substantivé par les photographes, à partir de l’épreuve négative), attendant d’être « révélé » depuis près de deux mille ans. S’il est évident qu’avec l’image du Suaire l’Église est « en train d’inventer le mythe de la photographie comme évidence mystique et preuve sans appel du vrai [14]», ainsi que le note très justement Marie-José Mondzain, l’inverse est aussi vrai : les photographes-sindonologistes s’approprient la relique pour en faire le symbole de la puissance à la fois magique et scientifique de leur médium. Et en effet, cette « découverte photographique du Saint Suaire de Turin » ainsi que la qualifie Paul Claudel, réussit l’exploit de doter le Linceul d’une autorité inédite, à une époque où le culte des reliques et de la religion chrétienne est affaibli. Déterminante, l’image du Suaire fusionne avec son objet, et ce n’est nullement un hasard si Enrie Giuseppe, second photographe du Linceul en 1931, intitule son témoignage Le Suaire de Turin révélé par la Photographie[15]. De ce point de vue, le cas du Suaire illustre sans doute parfaitement la réception complexe et paradoxale du fait photographique, encore mal compris dans les années qui ont suivi son invention, une confusion dont l’imaginaire collectif ne s’est toujours pas complètement affranchi. L’image, garante d’une démarche scientifique et rationnelle, admet cependant une lecture magique largement fantasmée à laquelle, paradoxalement, les courants scientistes ne sont sans doute pas étrangers – on y reviendra. Surtout, l’anecdote du cliché du Suaire de Turin attire l’attention sur la dimension religieuse de la révélation, qui va renforcer le mysticisme et la sacralisation de l’image photographique.
En même temps que la photographie (re)construisait le mythe du Suaire de Turin, ce dernier soulignait donc en retour la charge divine et magique contenue dans le fait photographique, une charge que le spectaculaire processus chimique de révélation, demeuré longtemps incompris, va cristalliser. La correspondance entre l’écrivain Paul Claudel, fervent croyant, et un certain M. Girard-Cordonnier, mathématicien français et sindonologiste réputé, livre un aperçu éloquent de l’imaginaire de la révélation photographique, envisagé à travers le prisme de la Révélation chrétienne. Dans une lettre adressée Girard-Cordonnier, Claudel déclare ainsi :
Ce n’est pas simplement une pièce officielle, comme serait par exemple un procès-verbal, une grosse de jugement dûment signée et paraphée : c’est un décalque, c’est une image portant avec elle sa propre caution. Plus qu’une image, c’est une présence ! Plus qu’une présence, c’est une photographie, quelque chose d’imprimé et d’inaltérable. Et plus qu’une photographie, c’est un négatif, c’est-à-dire une activité cachée (un peu comme la Sainte Écriture elle-même, prendrai-je la liberté de suggérer) et capable sous l’objectif de réaliser en positif une évidence ! […] Car une photographie ce n’est pas un portrait fait de main d’homme. Entre ce visage et nous il n’y a pas eu d’intermédiaire humain. C’est lui matériellement qui a imprégné cette plaque, et c’est cette plaque à son tour qui vient prendre possession de notre esprit[16].
Par un effet rhétorique d’accumulation, Claudel hiérarchise différentes fonctions de l’image traditionnellement véhiculées par l’imaginaire de la photographie. Sans surprise, c’est encore une fois la fonction testimoniale de l’image, « procès verbal », qui sert de fondement à son argumentation (dans une autre lettre, Claudel parlera de cet instrument que « la science a mis à notre disposition (comme) un moyen plus sûr – et à vrai dire foudroyant comme l’éclair ! – que le pinceau, et puisqu’il faut parler d’objectif, voici l’objectif lui-même : c’est la photographie [17]»).
Cependant, et c’est là l’un des paradoxes fondamentaux du fait photographique, cet ancrage rationnel favorise et conforte une lecture mystique de l’image, qui convoque une présence, comme si la révélation photographique opérait une forme de transsubstantiation : Claudel n’hésite pas, d’ailleurs, à parler ici de « seconde résurrection[18] ». Aussi, la similitude avec le phénomène de résurrection vive décrit dans La Chambre claire Roland Barthes, laisse penser que cette lecture chrétienne de la révélation s’est parfois transmise sans donner son nom :
C’est Lui ! […] C’est Lui matériellement qui a imprégné cette plaque, et c’est cette plaque à son tour qui vient prendre possession de notre esprit[19].
J’observais la petite fille et je retrouvais enfin ma mère […] ; la Photographie du Jardin d’Hiver, elle, était bien essentielle, elle accomplissait, pour moi, utopiquement, la science impossible de l’être unique[20].
Ce que partagent Claudel et Barthes, finalement, c’est une certaine idée de l’incarnation, indépendamment de leurs convictions ou de leurs croyances respectives. À tout le moins chez Claudel, l’image photographique, ce « quelque chose d’imprimé et d’inaltérable », empreinte ou cicatrice de la lumière, est traversée par une conception de la preuve – de l’Écriture – sans doute plus complexe que le suppose notre définition contemporaine de l’épreuve judiciaire. Car comme l’écriture, comme le verbe, l’imprimé fait chair.
Les travaux que Claudel consacre à la peinture hollandaise apportent notamment un éclairage sur cette conception de l’image. À contre-courant des critiques sur le réalisme austère des artistes hollandais, Claudel a très tôt défendu le degré de pureté contenu dans leurs tableaux, une pureté qu’il associe dans sa démonstration au fait photographique :
ce regard pur, dépouillé, stérilisé, rincé de toute matière, d’une candeur en quelque sorte mathématique ou angélique, ou disons simplement photographique, mais quelle photographie ! en qui ce peintre, reclus à l’intérieur de sa lentille, capte le monde extérieur. On ne peut comparer le résultat qu’aux délicates merveilles de la chambre noire et aux premières apparitions sur la plaque du daguerréotype de ces figures dessinées par un crayon plus sûr et plus assuré que celui de Holbein, je veux dire le rayon de soleil. La toile oppose à son trait une espèce d’argent intellectuel, une rétine-fée[21].
À ce geste créateur doit répondre un acte de réception authentique, alors même que l’on se contente trop souvent d’apposer un regard superficiel à ces peintures. Être à l’écoute de l’image, c’est se laisser pénétrer par le sens profond de l’œuvre, qui nous convie à une expérience spirituelle et mystique : vivre une expérience de révélation. Cette proposition sur la peinture hollandaise renvoie en vérité à toute une philosophie de l’Art chez Claudel, où l’œuvre se lie étroitement au sacré en ce qu’elle permet de franchir une limite entre le visible et l’invisible. Mais elle ouvre aussi à une analyse de l’image photographique assez inédite, de l’ordre de la synesthésie, de sorte que l’expérience photographique n’est plus seulement une expérience visuelle.
En tous les cas, c’est selon ce principe d’incarnation que le cliché de Pia opère une seconde résurrection du Christ. Autant le Linceul est une relique, autant l’image du Suaire « révélé » est devenue une icône, un nouveau fragment du Linceul largement redevable de l’action chimique du révélateur. L’interdépendance entre la relique et la photographie est d’autant plus notable que le Suaire, exposé en de très rares occasions, n’est connu du public que par l’intermédiaire de ses reproductions photographiques finalement peu nombreuses. Le cliché de Pia en est d’ailleurs longtemps demeuré la seule image : il faudra attendre 1931 pour qu’Enrie Giuseppe obtienne l’autorisation de renouveler l’expérience photographique, et aujourd’hui encore, ce sont généralement leurs clichés qui illustrent les textes sur le Saint Suaire. Parce qu’il s’apparente à une « activité cachée », le négatif photographique ne pouvait manquer d’attirer l’attention de Claudel, pour qui la Bible nous enseigne que « les choses visibles sont faites pour nous amener à la connaissance des choses invisibles ». Cette pensée œuvre en faveur d’une interprétation radicale où la photographie n’est rien de moins qu’une technique acheiropoïète (« elle n’est pas faite de main d’homme »), tandis que l’imaginaire du négatif se superpose à une pensée apocalyptique, non pas dans son acception « catastrophiste », mais prophétique (apocalypse est l’équivalent Grec de la révélation). Dès lors que révélation (du domaine de la photographie) et Révélation (du domaine du religieux) se confondent, l’image fait foi tant qu’elle fait preuve…
Par-delà l’anecdote, le cas de la photo du Linceul est remarquable en ce qu’il souligne et intensifie les conséquences d’une lecture religieuse et métaphysique de l’image, envers laquelle nous tendons à adopter un profil de croyant. Car si l’invention de Niepce et Daguerre a métamorphosé le regard de ses contemporains, l’imaginaire de la photographie n’est pas le seul fruit de fantasmes élaborés autour des enjeux techniques d’un médium. Ainsi que le dirait Jacques Rancière[22], une image n’appartient pas seulement à son propre médium, mais à son type d’imagéité. La métaphore de la révélation est ainsi largement soumise à des facteurs culturels et religieux, qui conditionnent des rapports complexes à l’égard de la représentation, une certaine tendance à sacraliser l’image (et pas seulement l’image photographique) ou encore, dans une moindre mesure, les problématiques de l’irreprésentabilité. Ces facteurs deviennent toujours plus décisifs à mesure que les usages contemporains de la photographie développent des phénomènes d’hybridation et de métissage, issus de leur rencontre avec d’autres cultures. Ainsi, bien que la pensée judéo-chrétienne s’avère décisive dans la réception occidentale du fait photographique, celui-ci s’inscrit dans une longue histoire de l’image, dont il réactive des conceptions et des usages sans doute bien plus archaïques qu’on ne pourrait le penser.
Le phénomène d’intercontamination entre la langue du photographique et celle du fait religieux a par ailleurs des conséquences méthodologiques pour l’étude du médium. En plus d’avoir déterminé l’imaginaire de la photographie, ce vocabulaire revient en effet régulièrement dans les discours de légitimation, les analyses théoriques et critiques du médium : la « révélation » compose ainsi avec la « Transfiguration » (chez Serge Tisseron notamment[23]), la « résurrection » (dans La Chambre claire de Roland Barthes), l’« icône » (que vont populariser les études en photojournalisme et la redécouverte des travaux sémiotiques de Peirce), l’« aura » (chez Benjamin)… Dans son ouvrage Le Baiser de Judas, photographie et vérité[24], Joan Fontcuberta va jusqu’à réinvestir l’idée de « croyance » pour séparer le public en deux catégories : les fanatiques d’un côté, les sceptiques de l’autre. Il s’agit là pour l’essentiel d’exemples empruntés à la critique contemporaine, mais cette tendance est déjà présente au XIXe siècle chez des écrivains tels qu’Hugo ou Mallarmé, ainsi que l’a démontré Jérôme Thélot[25]. Si l’on peut encore douter de l’efficacité du concept de révélation, surchargé de significations contradictoires, rappelons-nous que le fait photographique est lui-même largement fantasmé, tiraillé entre la rigueur scientifique de la manipulation chimique et le mystère de la chambre noire.
« A scene in a Library » : photographie et vision augmentée (Talbot & Jules Verne)
Parce qu’elle est d’abord un espace mystérieux où l’image opère un passage de l’invisible au visible, la chambre noire nourrit une métaphore de la révélation conçue comme un dispositif de visualisation plus puissant que les facultés physiques de l’œil humain. Cette lecture n’a rien d’original à l’époque de Niepce et Daguerre, marquée par un contexte culturel dans lequel la science tend à jouer le rôle d’une religion, sans doute en « réponse originale au besoin de dogmes dans un État moderne qui requiert la séparation du théologique et du politique[26]. » Aussi, même les esprits les plus scientifiques (et, de fait, surtout ceux-là) chercheront par tous les moyens à démontrer le pouvoir de visualisation sans précédent du médium photographique, développant à son égard des théories parfois extravagantes telles que la photographie spirite[27]. C’est ainsi l’idée même du « voir » qui s’est-elle transformé à travers la notion de révélation photographique.
L’invention de Niepce et Daguerre participe en effet à la constitution d’un nouveau paradigme du regard, paradigme porté par l’émergence de dispositifs et d’instruments optiques modernes toujours plus perfectionnés. Ces dispositifs marquent le triomphe de la science au XIXe siècle, mais aussi le développement d’une idéologie scientiste qui va s’avérer déterminante dans la formation d’un imaginaire de la photographie. Illusions à grande échelle, le diorama, le panorama et le géorama prétendent conférer au spectateur une position souveraine et omnisciente. Tout voir : tel est l’enjeu de ces dispositifs spectaculaires, dans la nouvelle tradition panoptique. Dérivée du modèle architectural de Jeremy et Samuel Bentham, lesquels avaient imaginé un environnement carcéral dans lequel les gardiens, depuis un point précis de la prison, pouvaient surveiller tous les détenus à leur insu, la pensée panoptique s’affirme en effet comme l’un des paradigmes majeurs de la Modernité. L’Homme se place au centre de la « machine de vision », et les progrès techniques de la photographie se négocient en fonction de l’effet de réel que l’image pourra garantir. Qu’elle fantasme les propriétés optiques de l’appareil (capable de déceler les spectres, de proposer des panoramas du réel) ou de l’image elle-même (enregistrement exhaustif et détaillé du réel), cette forme de révélation associe étroitement l’objectivité supposée des procédures techniques et l’imaginaire magique voire mystique associé à des procédures encore mal comprises – on l’a constaté à travers l’anecdote du Suaire de Turin.
Partagée entre l’objectivité technique des procédures laborantines et la dimension mystérieuse et magique de la chambre noire, la révélation est un motif éminemment ambivalent. À cet égard, il n’est sans doute pas si paradoxal que l’on doive à Talbot, pourtant connu pour avoir privilégié une conception objectiviste du médium photographique, qu’il surnomme « pencil of nature », l’un des textes reconnaissant à l’image son potentiel fictionnel – qu’il associe explicitement à la révélation. Dans la planche VIII de The Pencil of nature, « A scene in a library », Talbot prédit en effet en des termes pour le moins surprenants les facultés à venir du médium :
Experimenters have found that if this (solar) spectrum is thrown upon a sheet of sensitive paper, the violet end of it produces the principal effect : and, what is truly remarkable, a similar effect is produced by certain invisible rays which lie beyond the violet, and beyond the limits of the spectrum, and whose existence is only revealed to us by this action which they exert.
Now, I would propose to separate these invisible rays from the rest, by suffering them to pass into an adjoining apartment through an aperture in a wall or screen of partition. This apartment would thus become filled (we must not call it illuminated) with invisible rays, which might be scattered in all directions by a convex lens placed behind the aperture. If there were a number of persons in the room, no one would see the other: and yet nevertheless if a camera were so placed as to point in the direction in which any one were standing, it would take his portrait, and reveal his actions.
For, to use a metaphor we have already employed, the eye of the camera would see plainly where the human eye would find nothing but darkness.
Alas! that this speculation is somewhat too refined to be introduced with effect into a modern novel or romance; for what a « dénouement » we should have, if we could suppose the secrets of the darkened chamber to be revealed by the testimony of the imprinted paper.
Talbot serait-il le premier écrivain photolittéraire ? Le texte illustre en tous les cas la confusion entre science, technique et magie, qu’il n’est pas toujours si aisé de distinguer, au bénéfice de l’imaginaire photoromanesque.
Le plus étonnant, à la lecture de cette planche (où figure d’ailleurs le cliché d’une étagère encombrée de livres), reste encore l’allusion au roman qui occupe les dernières lignes du passage, une référence inattendue lorsque l’on sait à quel point le photographe britannique a cherché à rationaliser les procédures photographiques. Ainsi que le relève François Brunet :
Volontaire ou non, darkened chamber est un calembour à plusieurs niveaux, qui condense camera obscura (appellation courante en anglais de la chambre noire), dark room (pièce sombre, et laboratoire photographique) et le sème sexuel ou funèbre contenu dans chamber (chambre nuptiale, tombe), ce dernier terme n’étant pas utilisé en anglais dans un sens photographique. […] Mais la référence au roman et l’inclusion de « personnes » qui se trouveraient dans la pièce sans se voir suggère ici une intrigue plutôt extra-photographique. L’emploi ostentatoire du mot français dénouement tend à orienter la conjecture vers l’embrouille, le drame, qu’il faut supposer ainsi dénoué : une « scène dans une bibliothèque », soit conjugale, soit plus tragique, comme pourrait le suggérer le cadre gothique de Lacock Abbey[28].
Pour Talbot, la photo est investie d’une part de mystère et de magie qui la relie déjà à l’idée de révélation (le verbe « reveal » réapparaît à trois reprises dans le texte), bien que l’anglais préfère depuis toujours le terme development, comme on l’a vu. « A scene in a library » suggère ainsi le pouvoir de voyance du médium « là où l’œil humain ne trouverait rien d’autre que les ténèbres », devant les rayons invisibles de la lumière, devenus par analogie les « secrets » dissimulés dans l’obscurité… Certes, les réflexions de Talbot s’inscrivent dans le cadre d’une réflexion sur les applications scientifiques et les développements techniques d’un médium encore émergent. Aussi, cette frontière plutôt ténue entre les sciences expérimentales et la science-fiction justifie en partie les accents particulièrement utopistes, même idéalistes, de ce texte qui garde une place à part dans The Pencil of Nature. Cela dit, en intitulant cette planche « A scene in a Library », Talbot reconnaît à la photographie une forme de théâtralité, ainsi qu’une étonnante prédisposition à générer des fictions. Et s’il est bien convaincu de l’objectivité du médium photographique, il fait preuve d’une conscience aiguë des jeux de signification que peuvent inspirer des associations problématiques entre le texte et l’image. D’ordinaire en retrait, Talbot se laisse cette fois tenter par la mise en récit poétique de sa propre vision du potentiel de visualisation de la photographie. À cet égard, le cliché de la bibliothèque constitue peut-être l’une des premières références (méta)photolittéraire : image d’un espace de lecture qui lui-même accueillera bientôt l’image photographique.
En photolittérature, la révélation est donc souvent entendue comme une faculté de l’image photographique à enregistrer le réel avec plus d’acuité et de précision que l’œil humain. Sa fonction testimoniale (acquise ou controversée) agit alors comme un élément clé de la diégèse, qui vient souvent déclencher, relancer ou résoudre l’intrigue. Ce pouvoir n’aura sans doute jamais été aussi fantasmé qu’au XIXe siècle, alors que l’on explore encore les facultés physico-chimiques de ce nouveau médium. Le lecteur d’aujourd’hui peut s’étonner devant l’étendue de ce pouvoir de révélation, tant il relève d’un imaginaire désormais fantaisiste, mais ô combien romanesque. Chez Jules Verne, par exemple, les frères Kip sont innocentés grâce à la photo de la victime, le Capitaine Gibson, dont la rétine a imprimé la dernière vision de ses meurtriers Fling Balt et Vin Mod :
Il serait difficile de peindre leur émotion, lorsqu’ils se trouvèrent devant cette fidèle image d’Harry Gibson, le vivant portrait de l’infortuné capitaine.
C’était bien lui, sa figure sérieuse et sympathique tout empreinte d’une mortelle angoisse, tel qu’il avait été au moment où les meurtriers venaient de le frapper au cœur… à l’instant où il les regardait de ses yeux démesurément ouverts…
Nat Gibson s’était approché du chevalet, la poitrine gonflée de sanglots, en proie à une douleur que partageaient M. Hawkins et M. Zieger, tant il leur semblait que le capitaine fût là vivant devant eux… Puis le fils se courba pour baiser le front de son père… Soudain il s’arrête, il s’approche plus près encore, ses yeux dans les yeux du portrait…[…] Enfin il se retourne… il saisit sur une table une de ces fortes loupes dont les photographes se servent pour retoucher les détails d’une épreuve… Il la promène sur la photographie, et le voici qui s’écrie d’une voix épouvantée : « Eux !… eux !… les assassins de mon père ! » Et, au fond des yeux du capitaine Gibson, sur la rétine agrandie, apparaissaient, dans toute leur férocité, les figures de Flig Balt et de Vin Mod[29]!
C’est encore une fois sur les bases d’une conception objectiviste du médium – l’analogie entre l’œil et l’appareil photo, dont Paul Edwards livre par ailleurs une analyse détaillée[30] – que l’image intervient à la manière d’un deus ex machina, provoquant les coups de théâtre les plus rocambolesques. Preuve cependant que l’optimisme de Jules Verne ne fait pas l’unanimité, Jules Claretie fait par exemple accuser à tort (dans son roman L’Accusateur) un être cher à la victime qui, avant de mourir, a jeté un dernier regard sur son portrait. Ainsi partagées entre une vision technophobe et technophile, les fictions photolittéraires soulignent que la révélation photographique ne lève jamais complètement le voile sur le réel, et réclame une interprétation parfois hâtive et fautive.
« Le pouvoir argentique des mots » : heuristique et poétique de la révélation (Perec, Garat)
C’est finalement quand l’image photographique – tout comme le réel – ne se donne pas immédiatement à voir, qu’elle résiste à la lecture et conserve une part d’opacité, que la révélation prend tout son sens – ainsi qu’une dimension proprement photolittéraire. Comme le pressentait déjà Duhamel, lorsqu’il comparait la tâche du mémorialiste au processus de développement de l’image, la révélation conçue comme une heuristique et une poétique deviendra peu à peu les fondements d’une écriture photolittéraire. Au plan heuristique d’une part, le récit photolittéraire prendra de plus en plus la forme d’une quête ou d’une enquête – parfois inconsciente – au cours de laquelle les écrivains seront d’ailleurs conduits à réfléchir au rôle de la littérature, en particulier son statut par rapport au réel : à cet égard, la révélation est justement un révélateur faisant apparaître de manière plus explicite que jamais des problématiques atemporelles. En faisant ainsi dialoguer l’image et l’écriture – selon une logique de « transactions » plutôt que de confrontations, ainsi que le propose Jean-Pierre Montier[31] – les écrivains vont œuvrer à la constitution d’une poétique photolittéraire à part entière. Cette nouvelle « langue » permettra l’exploration d’un pan du réel encore inexploré : dépassant le paradigme de la représentation, la photolittérature reconnaît ainsi la valeur structurante, performative, de la photographie comme du langage.
Un bel exemple de cette heuristique de la révélation nous est donné dans le récit de Georges Perec W ou le souvenir d’enfance, publié quelques années à peine avant La Chambre claire auquel il propose un contrepoint intéressant. Dans W, la photographie n’est pas cet embrayeur de la mémoire escompté, elle est muette, décevante autant que déceptive, frappée de suspicion. Aucune révélation ici. L’album de famille minutieusement examiné par le narrateur n’est plus la trace du réel ni du passé, mais entérine la disparition des parents et la perte des souvenirs d’enfance :
Sur la photo le père a l’attitude du père. Il est grand. Il a la tête nue, il tient son calot à la main. Sa capote descend très bas. Elle est serrée à la taille par l’un de ces ceinturons de gros cuir qui ressemblent aux sangles des vitres dans les wagons de troisième classe. […] Le père sourit. C’est un simple soldat. Il est en permission à Paris, c’est la fin de l’hiver au bois de Vincennes (2)[32].
Curieusement en retrait, Perec se livre à examen clinique minutieux – une autopsie, en quelque sorte – de la figure « du père », dans une langue qui serait celle de l’histoire « avec sa grande hache » : à coup de phrases brèves, dans une syntaxe minimaliste. L’image n’est plus la preuve d’un « ça a été », mais elle énonce que « ça n’est plus » – et laisse le narrateur incapable d’identifier à quoi « ça » renvoie véritablement. La suite est connue : afin de combler ce vide, Perec invente l’île W, parabole du système concentrationnaire allemand, dont le récit vient se substituer à la parole intime. Tout en se soustrayant à l’écriture autobiographique pour se tourner vers la fiction, Perec choisit d’opérer un glissement de l’individuel au collectif (tout comme Boltanski, dans L’Album de la famille D.[33], par exemple).
Ce glissement opéré par l’écriture, l’auteur parviendra pourtant à le transposer à l’image un peu plus tard, comme il le confie dans un entretien accordé à Frank Venaille :
– Ne crois-tu pas que tu aurais pu travailler avec un carton de photos que quelqu’un t’aurait apporté, venant d’une famille inconnue de toi et te fournissant ainsi les éléments d’une fiction ?
– Je l’ai fait ! […] J’ai donc travaillé sur des documents où j’ai presque retrouvé ma propre histoire. Un de ces films se déroulait dans mon quartier d’enfance et c’était comme si j’avais été avec ma mère, mes parents, dans l’image[34].
Avec cette expérience de révélation, se télescopent non seulement passé et présent, mais aussi réalité (inaccessible) et fiction : si cela « n’a pas été », en revanche, cela « aurait pu être ». Écrivain de l’infra-ordinaire, Perec utilise la popularité du médium photographique afin de réinscrire son « histoire » à demi effacée dans l’Histoire. Là où, chez Barthes, « le référent adhère », Perec met l’accent sur l’affiliation plutôt que sur la filiation, sur la familiarité (celle du quartier où Perec a passé son enfance, mais aussi celle l’image) plutôt que sur la famille : « c’était comme si »…
Déjà, avec Perec, de nouvelles pistes d’interprétation se dessinent tandis que la révélation par la fictionnalisation des archives n’est plus tout à fait redevable de cette épiphanie dont on a pu privilégier, avec Roland Barthes ou Claudel, une lecture chrétienne. Perec était comme on le sait de culture juive. Et si cet héritage n’a occupé qu’une place très secondaire dans son éducation, il a néanmoins influencé à l’occasion le travail de l’écrivain. L’extrait du témoignage livré à Frank Venaille trouve notamment écho dans une étude qu’Emmanuel Levinas consacre à la tradition juive de la Révélation :
Telle est l’épaisseur de l’Écriture. Révélation qui peut se dire aussi mystère ; non pas mystère qui chasse la clarté, mais qui l’appelle à une intensité accrue. Mais cette invitation à la recherche et au déchiffrement – au midrache – c’est déjà la participation du lecteur à la Révélation, à l’Écriture. Le lecteur est, à sa façon, scribe. Cela nous donne une première indication sur ce que l’on pourrait appeler le statut de la révélation : à la fois, parole venant d’ailleurs – du dehors – et habitant en celui qui l’accueille. L’être humain ne serait-il pas, plus qu’auditeur, aussi le « terrain » unique où l’extériorité arrive à se montrer[35] ?
À travers le texte de Levinas se dessine une conception de la révélation comme stratégie d’écriture reposant sur une lecture multiple de l’image, dont le sens n’est jamais donné, ni même unique. Et comme dans tout véritable apprentissage, la quête offre un savoir qui finit par en éclipser ou minimiser le but initial.
La révélation peut donc porter une part de déceptivité : son but n’est pas la vérité, mais la réalité conçue dans toute son indécidabilité et son insaisissabilité. Il ne s’agit pas d’évacuer ou d’éviter tout questionnement ontologique, au contraire, mais de poser celui-ci en de nouveaux termes dès lors que l’on reconnaît à toute image – qui est une construction, y compris lorsqu’elle est un enregistrement du réel – son rôle structurant du réel. C’est la leçon qu’apprend Joseph, dans le roman d’Anne-Marie Garat Istvan arrive par le train du soir, après avoir dérobé dans la poche de son meilleur ami Istvan la photo d’une femme nue dont le visage est caché – sans jamais le nommer, Anne-Marie Garat décrit ici un cliché d’Edward Weston. Joseph est bouleversé par l’image : et s’il s’agissait de sa propre femme Odile, ou de celle d’Istvan, Christine, ou encore d’Alicia, un ancien amour de jeunesse ? Les hypothèses sur l’identité de l’inconnue, les raisons pour lesquelles Istvan garde sur lui une telle image pornographique, se multiplient tout au long du récit qui s’achèvera sans jamais répondre à l’obsession du narrateur ni satisfaire la curiosité des lecteurs – la photo s’est perdue au gré des péripéties. Avant son départ, Istvan offre à Joseph un appareil photo, à la place de ce fameux cliché qu’il croit maintenant perdu dans la Seine :
– Elle avait une histoire réelle. Pas une légende ou une prétention sémiotique, elle était elle-même sa propre histoire. Il n’y en a pas beaucoup. Elle est perdue, n’en parlons plus.
– Parle-m’en, je t’en prie, supplié-je, atterré.
– Inutile, sans la voir, tu ne me croiras pas.
– Décris-la-moi. Je te croirais sur parole.
– Impossible, elle est perdue, fantôme au fond de l’eau, et qu’importe, laisse donc. Mais cet appareil photo, j’espère que tu le garderas longtemps, sans céder à sa tentation. Attention, je te mets à l’épreuve. Il est dangereux, séduisant, il invite à imaginer l’intimité de sa chambre noire, receleuse de secrets, menteuse. Es-tu content[36] ?
Née grâce à l’action du bain révélateur, la photo disparaît une fois « rendue » aux eaux de la Seine, emportant avec elle son récit. Sans image, il n’y a pas d’« histoire » : en faisant le choix d’un tel terme, Anne-Marie Garat prend bien soin d’écarter l’idée même de « signification » propre à toute « prétention sémiotique ». Istvan donne ainsi à son ami une belle leçon de photographie, selon laquelle l’image ne révèle finalement rien d’autre qu’elle même.
Fine connaisseuse de la photographie argentique, et auteure d’une œuvre photolittéraire foisonnante, Anne-Marie Garat a développé une réflexion critique sur cette poétique photolittéraire inspirée de la chambre noire :
Je ne sais rien des révélations, j’y collabore, j’y travaille dans l’obscurité de l’écriture. Le pouvoir argentique des mots décide dans ce travail au noir qui arrête les formes, les leste de langage, trace des lignes de partage, lignes de litige latentes. Avant d’apprendre que cette image de vigne appartenait au côté de l’envers, celui des mots, je reste longtemps aveugle dans la chambre[37].
De l’« obscurité de l’écriture » au « travail argentique des mots », la révélation scelle l’association étroite entre le littéraire et le photographique, l’écriture et l’image. À travers le concept de révélation, nous touchons à la singularité même du dispositif poétique photolittéraire, qui se distingue notamment par ses fonctions heuristiques sans pareil. La révélation ouvre à une connaissance intime : un savoir déjà là, mais encore invisible, attendant son heure – une image latente. Au poète, comme au photographe, de plonger dans les mystères de la conscience, de la chambre noire, pour mener un travail exigeant, précis, parfois déceptif et pourtant surprenant, dans la mesure où la révélation est de l’ordre de la sérendipité.
Du sel au pixel : un imaginaire à réinventer
La métaphore photographique de la révélation cristallise les principaux paradoxes du fait photographique. Sur les bases d’une tension permanente entre l’indicialité de l’image et son potentiel onirique s’est développé un large imaginaire de la révélation photographique, que la littérature s’est rapidement approprié pour le mettre en scène dans ses propres fictions à caractère photolittéraire. Cet imaginaire protéiforme puise ses sources auprès de bientôt deux siècles de pratiques photographiques, qui ont engendré leur lot de discours scientifiques, esthétiques, critiques, mais aussi littéraires. Mais tandis que notre entrée dans l’ère photonumérique a rendu quelque peu obsolètes les chambres noires et la chimie de l’argentique, quel avenir attend la métaphore de la révélation ?
Devant les nouvelles réalités du fait photographique, en pleine remédiation[38], la notion de révélation issue des premiers âges du fait photographique constitue un point névralgique de la transition de l’argentique vers le numérique. La révélation photolittéraire, singulière et autonome, est en effet bien loin d’avoir disparu en même temps que les chambres noires. Le fait photographique, on l’a dit, n’est pas seulement une réalité technique, mais aussi discursive, et en particulier littéraire. Or la révélation est l’un des fondements de l’imaginaire de la photographie, qui joue lui aussi un rôle essentiel dans le processus de remédiation de la photo. En d’autres termes, les inventions littéraires de la photographie numérique n’ont de sens que si nous les insérons dans une tradition née au XIXe siècle. En explorant le potentiel de visualisation du fait photographique (quitte à en fantasmer largement les pouvoirs), les récits de Talbot, Jules Verne et Anne-Marie Garat trouvent un écho sans pareil à l’heure où le développement vertigineux des technologies numériques, sans cesse optimisées, a réinvesti tout à la fois l’idéal d’une vision « augmentée », et le paradoxe d’une technique « magique », car trop complexe pour être entièrement comprise. C’est d’ailleurs en ces termes que Steve Jobs avait l’habitude de présenter les innovations technologiques d’Apple : « It works like magic »… Alors que les procédures informatiques et les algorithmes nous paraissent tout aussi insaisissables que les procédures chimiques en leur temps, les écrivains – que Bergson comparaît lui-même à des révélateurs[39] – sont loin d’en avoir terminé avec la révélation photolittéraire.
Servanne Monjour (Université de Montréal)
[1] Comme on le verra, la « révélation » photographique est d’abord une notion propre aux langues romanes : l’anglais ou l’allemand ont choisi respectivement les termes « development » et « entwicklung », qui envisagent plus globalement le processus de développement de l’image. De fait, dans ces deux langues, les expressions désignant l’opération de révélation sont moins connotées. Pour autant, la charge d’imaginaire potentielle n’en demeure pas moins très forte, y compris chez un pionnier britannique de la photographie comme Talbot, tel que nous le verrons tout à l’heure.
[2] Rappelons en effet cette introduction à l’ouvrage The Pencil Of Nature : « The plates of the present work are impressed by the agency of Light alone, without any aid whatever from the artist’s pencil », Henry Fox Talbot, The Pencil Of Nature, London, Longman, Brown, Green and Longmans, 1844-1846.
[3] Dans la tradition ouverte par Siegfried Zielinski (Deep Time of the Media. Toward an Archaeology of Hearing and Seeing by Technical Means, MIT Press, 2006), Jussi Parikka (What Is Media Archaeology?, Cambridge, Polity, 2012), ou Yves Citton, (« Herméneutique ou (re)médiation. Vers des études de médias comparées ? », Critique, n° 817-818, juin-juillet 2015 « Où va l’herméneutique ? », p. 569-581 ; « Les Lumières de l’archéologie des médias », Dix-Huitième Siècle, n° 44, 2014, p. 31-52.
[4] Roland Barthes, La Chambre Claire. Note sur la photographie, Paris, Le Seuil, 1981 p.126-127.
[5] Jules Claretie, L’Accusateur, roman parisien, Paris, Charpentier et Fasquelle, 1897.
[6] Julio Cortázar, « Las babas del diablo », Las armas secretas, Buenos Aires, Editorial sudamericana, 1959.
[7] Bien évidemment, nous ne pouvons prétendre avoir mené une recherche exhaustive, et cette affirmation sera peut-être contredite par la suite.
[8] Dans la sixième édition du Dictionnaire de l’Académie française, parue en 1832, quelques années avant l’invention de la photographie, le révélateur est « Celui, celle qui fait la révélation d’un complot politique, ou de quelque association criminelle » (T. 2, p. 655) ; la révélation désigne « l’Action de révéler », mais aussi « L’inspiration par laquelle Dieu a fait connaître surnaturellement aux prophètes, aux saints, à son Église, ses mystères, sa volonté, sa venue, etc. ». (T. 2, p. 655).
[9] Supplément illustré du Dictionnaire des dictionnaires. Encyclopédie universelle, sous la direction de Paul Guérin, Paris, May et Motteroz, 1895, p. 1039.
[10] Première occurrence explicite reconnue par le TLFI.
[11] Georges Duhamel, Inventaire de l’abîme, 1884-1901, Paris, Paul Hartmann, 1944, p. 160-161.
[12] « For what a « dénouement » we should have, if we could suppose the secrets of the darkened chamber to be revealed by the testimony of the imprinted paper » – ce passage fait l’objet de plus amples commentaires dans cet article. Henry Fox Talbot, « A Scene In a Library », The Pencil of Nature, op. cit., Planche VIII.
[13] Il existe une importante littérature interdisciplinaire consacrée à l’histoire du Suaire de Turin et à sa controverse. Le site shroud.com constitue une base de données relativement complète des textes partisans ou non de l’authenticité du Suaire. Dans le champ de l’histoire de l’art et de la philosophie, on citera les travaux de Marie-José Mondzain : Les sources byzantines de l’imaginaire contemporain, Le Seuil, coll. « L’ordre philosophique », 1996.
[14] Marie-José Mondzain, op.cit., p. 246.
[15] Quelques années après avoir photographié la relique, Giuseppe publie La santa sindone rivelata dalla fotografia : raccolta delle ultime fotografie ufficiali della santa sindone con spiegazioni, dati tecnici, commenti, discussioni e studi di notizie storiche, Torino, Società editrice internazionale, 1933. Pour la traduction française, Le Saint Suaire révélé par la photographie, Paris, Les Moulinaux, 1936.
[16] Paul Claudel, « La photographie du Christ (lettre à M. Girard-Cordonnier), in Toi, qui es-tu ? (tu quis es ?), Paris, Gallimard, 1936, p.12.
[17] Paul Claudel, « Les Psaumes et la photographie », in L’œil écoute, Paris, Gallimard, 1946, p. 191.
[18] Idem, p. 11.
[19] Idem, p. 13.
[20] Roland Barthes, La Chambre claire, op. cit., p. 107 et 110.
[21] Paul Claudel, L’œil écoute, op. cit., p. 24-25.
[22] Jacques Rancière, Le Destin des images, Paris, La Fabrique, 2003.
[23] Serge Tisseron avance ainsi que toute photographie est « le lieu privilégié d’une transfiguration » et que « De tous les arts profanes, la photographie est, du fait de son rapport à la lumière et à la transfiguration, celui dont l’imaginaire se tient au plus près du sacré, même si, par ailleurs, elle participe à l’appréhension symbolique du monde. », Le Mystère de la chambre claire, Paris, les Belles Lettres, Archambaud, 1996, pp. 60-62).
[24] Le Baiser de Judas, photographie et vérité, Arles, Actes Sud, 1996.
[25] Jérôme Thélot, Les inventions littéraires de la photographie, Paris, PUF, 2003, coll. « Perspectives littéraires ».
[26] Françoise Mélonio, Histoire culturelle de la France, Jean-Pierre Rioux et Jean-François Sirinelli (dir.), t.3, pp. 197-198.
[27] Quoique fantasque, la photographie spirite compte des défenseurs parmi les scientifiques eux-mêmes comme Alfred Russel Wallace (A Defence of Modern Spiritualism, Boston, Colby and Rich, 1875) ou Alexander Aksakov (Animismus und Spiritismus, Leiptig, Oswald Mutze, 1890). Clément Chéroux, Andreas Fischer, Pierre Apraxine, Denis Canguilhem et Sophie Schmit y ont consacré une étude très complète dans Le troisième œil : la photographie et l’occulte, Paris : Gallimard, 2004. Il existe de nombreux prolongements littéraires à cette tendance, notamment chez les symbolistes. Voir par exemple l’article d’Anne Mc Cauley, « Du spitiruel dans la photographie : Coburn, Pound et les vortographies », Carrefour Stieglitz, Rennes, PUR, 2012, p. 207-231.
[28] François Brunet, La naissance de l’idée de photographie, Paris, PUF, 2012 [2000], p.144.
[29] Jules Verne, Les Frères Kip, Seconde partie, chap. XV, Paris, J. Hetzel, 1903.
[30] Paul Edward, Soleil noir, op. cit. p. 93.
[31] Jean-Pierre Montier, « De la photolittérature », Transactions photolittéraires, Rennes, PUR, 2015, p. 11-63.
[32] George Perec, W ou le souvenir d’enfance, Paris, Denoël, 1975, Gallimard, coll. « L’Imaginaire » pour l’édition consultée, p. 42.
[33] Christian Boltanski, L’Album de photos de la famille D., 1939-1964, 1971.
[34] Georges Perec, entretien avec Frank Venaille, Je suis né, Le Seuil, 1990, coll. « La librairie du XXe siècle », p. 85.
[35] Emmanuel Levinas, « La Révélation dans la tradition juive », La Révélation, Paul Ricœur, Emmanuel Levinas, Edgar Haulotte, Etienne Cornélis, Claude Geffré, Bruxelles, Publications des Facultés universitaires de Saint-Louis, 1977, p. 55.
[36] Anne-Marie Garat, Istvan arrive par le train du soir, Seuil, 1999, coll. « Fiction et Cie », p.181.
[37] Anne-Marie Garat, Photos de famille, Arles, Actes sud, 2011, p.182.
[38] Au sens où l’entendent Jay Bolter, David Grusin dans Remediation, Understanding New Media, Cambridge, MIT Press, 1999.
[39] « Le poète et le romancier qui expriment un état d’âme ne le créent certes pas de toutes pièces ; ils ne seraient pas compris de nous si nous n’observions pas en nous, jusqu’à un certain point, ce qu’ils nous disent d’autrui. Au fur et à mesure qu’ils nous parlent, des nuances d’émotion et de pensée nous apparaissent qui pouvaient être représentées en nous depuis longtemps, mais qui demeuraient invisible : telle l’image photographique qui n’a pas été plongée dans le bain où elle se révélera. Le poète est ce révélateur. » Bergson, « La perception du changement », La Pensée et le mouvant, Paris, PUF, 1934 [1911], coll. « Quadrige », p. 150.