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Andrea Oberhuber, Deuil et mélancolie, métaphores photolittéraires dans Bruges-la-Morte

Résumé : Récit hautement symboliste, Bruges-la-Morte de Georges Rodenbach révèle l’impact des images photographiques sur l’humeur – mélancolique – du protagoniste Hugues Viane, veuf profondément endeuillé encore cinq ans après la disparition de sa femme. Publié en 1892, ce récit, dans lequel 35 cartes postales ont été insérées a posteriori, montre la tendance à penser photographiquement l’effet de contagion des vues de Bruges sur le héros de papier en le transformant en « plaque sensible ». Expression de la mélancolie « cannibale » du protagoniste centré sur un deuil incommensurable, les photographies cadrent ses déambulations à travers la ville ; elles teintent son regard et ultimement, celui du lecteur. Il s’agira de montrer en deux mouvements l’imbrication entre la mélancolisation du présent de Hugues Viane, sur lequel empiète la mémoire de l’objet d’amour, et la transformation de la ville en images fix(é)es moyennant le regard photographique du héros.
mots-clés : Bruges-la-Morte, melancholía, carte postale, paysage, symbolisme, ville, mémoire, Georges Rodenbach, deuil, mélancolie, mourning, photographic gaze
Référence électronique : Andrea Oberhuber . « Deuil et mélancolie, métaphores photolittéraires dans Bruges-la-Morte », Revue internationale de Photolittérature n°1 [En ligne], mis en ligne le 11 octobre 2017, consulté le 18 avril 2024. URL : http://phlit.org/press/?articlerevue=deuil-et-melancolie-metaphores-photolitteraires-dans-bruges-la-morte
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Deuil et mélancolie, métaphores photolittéraires dans Bruges-la-Morte


Avec Bruges-la-Morte, sans qu’il veuille révolutionner le genre romanesque en ce XIXe siècle finissant, Georges Rodenbach inaugure en 1892[1] une nouvelle tradition de l’objet livre qui conjugue au sein du même espace l’écrit et le pictural, sous forme de vues photographiques de la ville appelée la Venise du Nord. Dans ce qui est devenu une œuvre charnière du domaine photolittéraire récemment constitué[2], les rapports de collusion et de collision entre les mots et les images dépassent largement la pratique du livre illustré cher à la tradition notamment bibliophilique du XIXe siècle[3]. La tonalité mélancolique du roman de Rodenbach dans lequel il est question, d’un bout à l’autre, de la perte de l’être aimé et d’un double permettant la reproduction (presque à l’identique) d’une histoire d’amour qui s’avère une chimère, est annoncée dès le frontispice signé Fernand Khnopff : couchée sur son lit de mort, une Ophélie préraphaélite flotte sur l’eau qui coule sous les ponts. Ce dessin au fusain contraste vivement, d’un point de vue esthétique, avec les photographies in-texte comme éléments essentiels du dispositif texte/image porteur de sens. Au-delà de ce seuil symbolique, Bruges-la-Morte révèle au lecteur, d’entrée de jeu, l’impact des images photographiques sur l’humeur mélancolique du protagoniste : avant de lire le récit de Hugues Viane, veuf profondément endeuillé encore cinq ans après la disparition de sa femme, le lecteur est incité à regarder une vue de Bruges, embrumée dans une grisaille qui sera déclinée au fil des pages[4].


Plus précisément, ce récit en prose poétique dans lequel 35 cartes postales, des similigravures[5], ont été insérées a posteriori[6] montre la tendance à penser photographiquement l’effet de contagion des vues de Bruges sur le héros de papier en le transformant en « plaque sensible[7] ». Entre la mélancolie comme disposition à l’introspection d’une part, et les diverses surfaces d’eau, les miroirs, les fenêtres et les dispositifs optiques (tel le judas des portes de maison) d’autre part – autant de métaphores voire de métonymies de la photographie –, la réflexivité est à l’œuvre à un point tel qu’il est justifié de qualifier Bruges-la-Morte de « roman sur la photographie[8] ». Aux clichés en noir et blanc ponctuant le récit ne revient donc pas une simple fonction mimétique dans le sens où l’image ne se résume pas à une paraphrase visuelle du texte qui créerait un rapport hiérarchique entre les deux langages[9]. Expression de la mélancolie « cannibale[10] » du protagoniste centré sur un deuil incommensurable, les images cadrent ses déambulations à travers la ville ; elles teintent son regard et ultimement, celui du lecteur. Errant dans les rues de Bruges, le long des nombreux quais et canaux, le veuf ténébreux, dont la « seule Étoile est morte » faisant en sorte qu’il « [p]orte le Soleil noir de la Mélancolie[11] », s’expose à la ville moribonde, toute en demi-teinte.


Tout se passe comme si l’inconsolé avait besoin de s’enfermer, que ce soit dans sa maison au quai du Rosaire ou en marchant dans une ville vouée à l’engloutissement, afin de raviver quotidiennement son état mélancolique, afin de se complaire dans le deuil de la moitié perdue dont il ne reste que des images encadrées et la précieuse chevelure dorée. À mon tour, je me promènerai dans Bruges-la-Morte pour faire apparaître les multiples traces d’une pensée photographique dont témoigne Rodenbach, et ce autant avant l’intégration des clichés (traces métaphoriques sur les plans des couleurs N/B, de l’humeur mélancolique et de la scopophilie du héros) qu’après l’augmentation du roman de 35 similigravures (traces matérielles et analogiques quant aux rapports texte/image). Ainsi s’agira-t-il de montrer en deux mouvements l’imbrication entre la mélancolisation du présent dans lequel (sur)vit Hugues Viane suite à la perte de l’objet d’amour transformé en icône dans la mémoire du protagoniste, et la perception de Bruges comme une série d’images fix(é)es moyennant le regard photographique du héros.


 


Prédominance du gris et du noir : visions mélancoliques de Bruges


La réputation de Bruges et le souvenir qu’en a gardé Viane expliquent la raison pour laquelle il s’y est installé de nouveau après la mort de sa bien-aimée. Il lui est facile d’établir une relation d’analogie entre sa profonde tristesse et « le demi-deuil éternel » (BM, 129) propre à la ville flamande : « C’est pour cela qu’il avait choisi Bruges, Bruges, d’où la mer s’était retirée, comme un grand bonheur aussi. Ça avait été déjà un phénomène de ressemblance, et parce que sa pensée serait à l’unisson avec la « plus grande des Villes Grises » (BM, 129). Le héros opte pour la grisaille de Bruges afin de mieux pouvoir accorder son travail de deuil avec le lieu. Car, selon l’optique du deuil si difficile à accomplir, à l’épouse morte doit correspondre une ville « mourante ». Afin que Bruges cesse de vivre, le héros – scopophilique – doit la regarder à la manière d’un photographe[12] : la ville est réduite à une série d’images où prédominent l’eau et les monuments historiques, témoignant de l’absence et d’un temps immobilisé grâce aux promenades itératives.


Si presque tous les symptômes retenus par Freud dans son diagnostic du mélancolique[13] s’appliquent à l’état de Hugues Viane, la vision de cette maladie de l’âme que propose Pierre Fédida paraît encore plus féconde pour penser le sujet mélancolique dans Bruges-la-Morte. Pour le philosophe-psychanalyste, l’état mélancolique, outre le fait d’être lié à la perte d’un objet, a partie liée avec le fantasme : « […] la mélancolie est moins la réaction répressive à la perte de l’objet que la capacité fantasmatique (ou hallucinatoire) de le maintenir vivant comme objet perdu[14] ». D’emblée, le personnage principal est présenté comme un « être dépareillé », « [i]noccupé » et « solitaire », vivant la séparation de sa femme tant aimée comme « terrible » (BM, 52) et ne pouvant se résigner à la perte d’un bonheur qui avait duré dix ans. S’y ajoute l’obsession de Viane de conserver, au sein de sa maison, un certain nombre de reliques qui gardent vivante la mémoire de la défunte élevée ainsi en femme icône : tableaux et photographies de la disparue, sa chevelure blonde « tressée en une longue natte » (BM, 53) et, surtout, les empreintes (de son corps) laissées dans les creux des fauteuils. Tout est mis en place pour que l’absence réelle de la morte ne puisse l’emporter sur sa présence fantasmée. Cette attitude mélancolique ne préfigure-t-elle pas celle évoquée par Barthes au moment où, endeuillé suite à la disparition de sa mère, il regarde une photographie de celle-ci jeune – la célébrissime « Photographie du Jardin d’hiver » – et dans laquelle il reconnaît – enfin –, après avoir regardé tant d’images d’elle, « la vérité de son visage », son « air, […], consubstantiel à son visage[15] » ? Seule cette photographie de la mère jeune enfant permet paradoxalement à Barthes de retrouver, hors du temps, « l’air » qu’il lui connaissait.


Ce rapport mélancolique à l’image et au temps révolu que la photographie serait apte à entretenir selon Barthes[16] nous permet de retourner dans Bruges-la-Morte afin d’aborder la question triangulaire du regard, de la ville et de la photographie. Nous lisons le récit du veuf par le biais de la vision teintée, certes, de noir (couleur de deuil et de douleur) et de blanc (symbole de la pureté et de l’innocence associées à la défunte) mais également de gris, couleur emblématique de la photographie due aux sels argentiques ayant permis, dans l’histoire de l’invention de cet art par Niépce, Daguerre et Talbot, la fixation de l’image. Dans le passage explicatif du choix de Bruges comme lieu propice au travail de deuil, il est également question du « blanc des coiffes des religieuses » qui contraste vivement avec « le noir des soutanes de prêtres » (BM, 129) pour donner lieu aussitôt à l’évocation du « [m]ystère de ce gris » (BM, 129) caractéristique de la ville, de la mélancolie et, ajouterai-je, des photographies insérées entre les pages du livre. Les deux couleurs se mélangent, à travers le regard de Viane, en un gris omniprésent dans ce qui est donné à voir de Bruges, métaphorisant ainsi le principe même de la photographie basée sur un jeu d’ombre et de lumière dont il s’agit, au moment du développement, d’explorer les nuances du gris. Comme par un « miracle du climat », ainsi le formule la voix narrative, la ville a tendance à neutraliser « les couleurs trop vives » pour les ramener « à une unité de songe, à un amalgame de somnolence plutôt grise » (BM, 130). Consacré à l’idée de ressemblance entre Bruges et les états d’âme du protagoniste, ainsi qu’au regard photographique que celui-ci porte sur la ville, le chapitre six constitue une sorte de pause dans le déroulement du drame à venir. Où qu’il aille, Hugues Viane ne peut se soustraire à l’influence de « ce gris des rues de Bruges » ; il sent « son âme de plus en plus sous cette influence grise » (BM, p. 182). Aussi Paul Edwards a-t-il raison de souligner que Bruges se présente « en monde dé-coloré[17] » lors des sorties du veuf en fin de journée. Et malgré la présence remarquée de certaines couleurs – notons le doré de la chevelure de la défunte, le rouge caractéristique de Jane Scott, sosie de la femme morte, ou le bleu de quelques coins du ciel –, aux yeux de Viane, tout « s’unifie en chemins de silence incolores[18] ».


La mort et la mélancolie constituent le cadre à l’intérieur duquel trouvent place  les pensées et les sentiments du héros ; cette perception où domine le gris se voit répercutée dans les similigravures. Les scènes de rue et de quai se ressemblent à s’y méprendre, le temps paraît suspendu dans les images de Bruges, rien ni personne n’y bougent[19]. Les cartes postales font office de miroir dans ce livre de Rodenbach parce qu’elles semblent refléter les états d’âme de Viane, autant que la grisaille de la ville s’avère propice à amplifier sa mélancolie. Les effets de contagion sont donc réciproques. La principale fonction des vues consiste, selon la logique de l’intrigue et le dispositif texte/image, à figurer toujours à nouveau « le retour du mort[20] », jusqu’au moment de la rencontre avec Jane Scott, actrice-danseuse en tournée au théâtre de Bruges.


L’absence de figures humaines dans les rues de la ville[21] légitime l’épithète « morte » du titre du roman. Bruges est présentée comme une ville fantôme à l’intérieur de laquelle erre le héros, lui-même fantôme à la recherche du spectre de la défunte ; de cette Bruges vide, sans âme qui vive, émerge un sentiment d’inquiétante étrangeté. Mais même si Hugues Viane ne rencontre jamais personne au fil de ses promenades, nous ne sommes pas dupes : le parti pris des ombres au détriment de figures humaines qui peuplent généralement une ville, du moins le jour, s’explique par le procédé photographique de la retouche largement répandu à l’époque, avant l’invention du numérique qui permet la reconfiguration quasi totale d’une image. L’examen des clichés originaux révèle que parmi les retouches effectuées sur les négatifs, il y a eu effacement de figures humaines. La présence humaine a été sacrifiée sur l’autel de Bruges-la-Morte, ce qui rejoue autrement l’absence de la femme aimée. À l’impression d’immobilité, d’arrêt du temps contribuent en outre les longs temps de pose ayant pour conséquence d’égaliser la surface des eaux et du ciel[22] : pas d’ondes ni de nuages. L’impression d’une ville déserte n’est troublée que par une image qui rompt la monotonie recherchée : c’est le cas de la photographie des nonnes qui rentrent au Béguinage (BM, p. 159). Cette image déroge à la règle également à un autre niveau puisqu’il s’agit de la reproduction d’un tableau, soit Le Petit Béguinage de Gand du peintre flamand Louis Tytgadt[23]. Ce qu’il convient davantage de retenir de cette présence humaine exceptionnelle est la signification symbolique des béguines. Elles incarnent aux yeux de Viane l’image archaïque d’une Bruges entièrement vouée au mysticisme, à la réclusion[24] et au culte sacré dont témoignent les images de l’Hôpital Saint-Jean, les chefs d’œuvre de Memling, la châsse de sainte Ursule et, bien évidemment, le Reliquaire contenant la goutte du Christ. On s’aperçoit vite que le champ de vision du protagoniste est organisé autour de ces lieux et objets de culte catholique. L’endeuillé s’exerce au sacrifice de soi après la perte de l’être aimé ; il s’enterre dans sa maison au quai du Rosaire, conçue tel un lieu de culte profane propice à entretenir le fantasme de la perte, et n’en sort qu’à des fins de pèlerinages à travers la ville menant à des lieux de mémoire.


La rencontre avec Jane Scott ne parvient que momentanément à interrompre un train de vie où tout est pensé en termes de répétition et d’immortalisation, par ailleurs deux caractéristiques du procédé photographique. Victime d’un leurre, d’une sorte de trompe-l’œil, Hugues Viane a beau tenter de faire porter au double de la défunte les robes de celle-ci, de la convaincre de ne pas changer la couleur de ses cheveux, Jane n’est que la (mauvaise) copie de l’original. Comme la maison du quai du Rosaire est déjà décorée de portraits picturaux et photographiques de la femme morte (BM, p. 265-266) – qui sont autant de « copies » de l’être humain – et que, le jour de la Procession du Saint-Sang, Jane se montre impie face au culte religieux osant de surcroît profaner la chevelure conservée dans un écrin[25], le veuf se doit d’annihiler la copie en l’étranglant avec la tresse. Est-il légitime de lire le meurtre de Jane au sein même du sanctuaire où la défunte est commémorée grâce aux traces-objets, comme une réflexion inconsciente de la part de Rodenbach sur la question de l’original(ité) et de la copie soulevée par la photographie ? Cette question est d’autant plus épineuse en cette fin de siècle que les débats sur le statut artistique de la photographie se poursuivent, remettant en cause la valeur esthétique d’une technè capable de produire un nombre infini de tirages à partir d’un seul négatif, lui-même considéré comme résultat d’une simple reproduction du réel, ou de son témoignage. Les polémiques autour du médium photographique[26] ont des répercussions importantes, notamment dans les milieux littéraires qui observent, avec un mélange d’inquiétude et de dédain, un nombre grandissant de romans populaires illustrés de photographies.


 


Cadrage(s) dans l’« Avertissement » : effets de contagion et dispositif texte/image


Avant de plonger dans l’intrigue de Bruges-la-Morte, le lecteur se voit averti par l’auteur qui juge opportun, après avoir abordé l’importance de la Ville, de justifier les raisons du choix esthétique concernant la photographie. Rodenbach note :


C’est pourquoi il importe, puisque ces décors de Bruges collaborent aux péripéties, de les reproduire également ici, intercalés entre les pages : quais, rues désertes, vieilles demeures, canaux, béguinage, églises, orfèvrerie du culte, beffroi, afin que ceux qui nous liront subissent aussi la présence et l’influence de la Ville, éprouvent la contagion des eaux mieux voisines, sentent à leur tour l’ombre des hautes tours allongée sur le texte. (BM, 50)


Rodenbach réussit à ne pas écrire une seule fois le mot « photographie » lorsqu’il explique la présence des images par l’ascendant de ces « décors » d’une Ville semblable à un « personnage essentiel » sur ce qu’il appelle une « étude passionnelle » (BM, 49). Par cette ellipse que l’on imagine volontaire, l’auteur délivre les photographies de leur fonction première de représentation préférant insister sur l’idée de contagion tout à fait dans l’esprit fin-de-siècle obsédé de pathologie menaçante ; ce faisant, il leur enlève tout réalisme documentaire, toute objectivité présumée, deux principales caractéristiques associées au médium photographique encore une cinquantaine d’années après son accréditation par François Arago[27]. Ce qu’il faut comprendre des quelques lignes justificatives du texte liminaire, c’est l’intention de Rodenbach qui semble vouloir concevoir les images comme les analogues d’une écriture intérieure, parfaitement psychologique. Il en fait des graphies autres, comme le signale Jérôme Thélot[28], intercalées entre les pages d’écriture littéraire, ayant le même statut et le même rôle à jouer que les mots du récit poétique. En suivant le mouvement du protagoniste, le lecteur-spectateur devra être impressionné à son tour et sentir, par effet de ricochet, les effets du décor hautement théâtral d’une ville qui se contemple dans les eaux ; il se transformera alors en matière photosensible parce que ces images ont pour vocation de l’entraîner au cœur du drame qui se déroulera sous ses yeux.


De fait, les vues de Bruges restituent l’imposante verticalité de la ville, contribuant ainsi à créer un simulacre de décor théâtral[29] dans lequel le protagoniste peut s’adonner à ses rêveries funestes : le souvenir de la défunte commande la façon de passer les journées du veuf qui finit par se faire tromper par un simulacre de la décédée. Les clichés photographiques ajoutent à la conception de la double page une sorte de troisième dimension, celle de la rue et de la profondeur. Le dispositif texte/image rythmant la lecture semble vouloir confiner le lecteur dans un écrin, « comme la chambre noire [enferme] sa plaque sensible[30] ». Il s’agit d’une idée particulièrement intéressante en ce qui concerne la fonction des photographies dans cette première œuvre photolittéraire de l’histoire du livre. Car, selon l’esthétique de l’écrivain symboliste, la mimésis idéale est tridimensionnelle : le lecteur doit être confiné à l’intérieur des pages d’un livre pour s’immerger dans ce qui lui est donné à lire et – faut-il ajouter – à voir. Il est censé suivre Hugues Viane à la trace et subir le même effet d’enfermement dans l’enceinte du livre que le personnage principal ressent dans la ville de Bruges. Le milieu de cette ville, haut-lieu de la foi catholique, a tout pour nourrir quotidiennement la mélancolie du protagoniste. Fenêtres, miroirs naturels (eau) et artificiels, tentures et voiles, tous métonymies de l’appareil photographique et de la technè qu’il représente, servent à insérer le personnage dans un jeu infini de reflets entre extérieur et intérieur. Comme Hugues Viane, lorsqu’il passe les journées dans sa maison donnant sur le quai du Rosaire, les habitants s’adonnent au guet des passants et donc, sur le plan métaphorique, à la prise de vue :


Les bourgeoises curieuses, dans le vide des après-midi inoccupées, surveillaient son passage, assises à une croisée, l’épiant dans ces sortes de petits miroirs qu’on appelle des espions et qu’on aperçoit à toutes les demeures, fixés sur l’appui extérieur de la fenêtre. Glaces obliques où s’encadrent des profils équivoques de rues ; pièges miroitants qui capturent, à leur insu, tout le manège des passants, leurs gestes, leurs sourires, la pensée d’une seule minute en leurs yeux – et répercutant tout cela dans l’intérieur des maisons où quelqu’un guette. (BM, 121-122)


Chaque demeure s’apparente ainsi à une chambre, ce grand appareil photographique qui abritait, depuis les origines de l’héliographie, la plaque photosensible et, sous le tissu noir, l’Operator, pour utiliser le terme de Barthes[31].


Aux yeux du lecteur, la cité entière ressemble à un dédale aux miroirs susceptibles de brouiller la vue, faisant apparaître les passants tels des silhouettes : il est en effet souvent question dans le roman de la « tache [d’une] silhouette qui allait passer contre lui » (BM, 87) ou d’une « silhouette mieux découpée chaque fois qu’elle [la jeune femme svelte] passait devant la vitrine éclairée d’un magasin ou le halo répandu d’un réverbère » (BM, 89). Aussi, le héros, durant ses déambulations « à la fin des après-midi » (BM, 52), est plongé dans les décors de la ville, à travers les jeux de miroir que projette l’eau stagnante des canaux. Les interactions entre le héros et le milieu sont conçues selon les principes de l’empreinte et de la trace : dans cette « étude passionnelle », comme le formule Rodenbach dans l’« Avertissement » (BM, 49), la « plus grande des Villes Grises » (BM, 129) influe sur la perception des habitants qui, à leur tour, ne peuvent qu’y retrouver leur propre tendance mélancolique. Si l’on parvient à regarder les 35 reproductions insérées dans le livre comme si elles étaient exposées les unes à côté des autres, on ne peut s’empêcher de croire que ces cartes postales visent définitivement moins l’illustration de Bruges qu’à inciter le regardant-lisant à s’en laisser imprégner. L’effet répétitif des monuments (le Beffroi, la cathédrale du Saint-Sauveur, les chapelles, les rues, les quais, les canaux et les ponts finissent par se confondre dans la vision du lecteur) va dans le même sens.


Les images scandent le récit selon un rythme régulier ; leur répartition parmi les chapitres est à peu près équilibrée : chaque chapitre contient une ou deux, parfois trois photographies[32]. La répétition de scènes similaires est au service du deuil du protagoniste qui nourrit son sentiment de perte grâce à la visualisation de tous ces lieux de mémoire associés à la vie d’avant la mort de la jeune épouse. Si Philippe Ortel termine son analyse de Bruges-la-Morte en affirmant que les images de Bruges « influent latéralement sur le regard du lecteur », que tout en les apercevant du coin de l’œil, celui-ci « peut continuer […] à imaginer les faits sans entrave, à partir du texte seul[33] », je poserai au contraire que le lecteur-spectateur est exposé frontalement aux vues de Bruges toutes placées en belle page, lui imposant un temps d’arrêt dans le temps de lecture. Les photographies (et ce qui y est représenté) ne valent pas uniquement par leur présence et leur encadrement de la lecture du texte ; les similigravures d’après les clichés des maisons J. Lévy et Cie et Neurdein Frères proposent, à divers degrés, un commentaire – en multiples nuances de gris – sur la quête de l’objet d’amour perdu. Prélevées d’un ensemble anonyme d’images documentaires de la cité flamande puis récupérées dans l’espace du livre et insérées à la verticale ou à l’horizontale, les photographies servent de décor à l’intrigue tout en reconfigurant la vision de la Ville, à l’image du héros ressassant son deuil. Bien que la nature des photographies retenues nous mette à priori sur la piste du document – rappelons qu’il s’agit de cartes postales destinées à la vente aux touristes – les images sont loin de reproduire le réel[34] ou d’attester un « [ç]a a été ». Pour le lecteur attentif, l’ensemble texte/image témoigne en revanche d’un enchevêtrement entre le récit et les photographies[35], faisant fonctionner cette œuvre comme si elle avait été pensée d’emblée en termes d’échange, d’hybridité et de fictionalisation d’une idée. On peut en effet constater avec Joan Fontcuberta que, même dans un roman hybride tel Bruges-la-Morte qui accueille des photographies apparemment réalistes, « la limite entre le réel et l’imaginaire est plus imaginaire que réelle ». Et Fontcuberta de préciser cette idée un peu plus loin : « [toute] photographie est mirage avant d’être miroir, parce qu’elle est dans son essence une manipulation plus ou moins inconsciente[36] ».


Constatons donc que c’est la contagion mutuelle des deux moyens d’expression au sein de l’espace du livre qui confère aux cartes postales une valeur aussi fictionnelle que celle propre au romanesque. Le choix des images et leur disposition en miroir avec le texte font en sorte que non seulement le récit fait signifier les photographies, mais que celles-ci redoublent les évocations de rues inanimées, de façades silencieuses, d’eau miroitante et de reflets dans les canaux, bref qu’elles interprètent visuellement le récit en le ponctuant comme autant d’images mémorielles. Bruges-la-Morte invite à une lecture en spirale du texte par l’image, et vice versa.


 


1892 – 1992 : d’un siècle à l’autre


En 1898, six ans après la publication de Bruges-la-Morte, le Mercure de France réalisa, sous l’égide de Paul Ibels, une enquête sur l’illustration du roman par la photographie[37]. Les avis des écrivains qui y répondent sont partagés : la moitié environ se prononce en faveur de cette nouvelle forme d’écriture mixte, l’autre moitié étant contre la photographie comme moyen d’illustrer une œuvre littéraire. La position de Rodenbach, instigateur d’un genre hybride dont il ignorait bien évidemment la fortune, bien qu’elle soit nuancée, peut surprendre à cet égard : s’il trouve l’idée de l’illustration d’un roman par la photographie « ingénieuse », il préfère croire qu’un « lecteur un peu subtil aimera toujours mieux s’imaginer lui-même les personnages, puisqu’un livre n’est qu’un point de départ, un prétexte et un canevas à rêves[38] ». Mais tout dépend, fait-il remarquer, des photographies et des lecteurs. Quant à ses propres préférences, il avoue s’intéresser « principalement au texte[39] ».


Les propos partagés des écrivains en deux camps (auxquels s’ajoutent quelques voix mitigées) montrent à quel point les rapports entre la littérature et la photographie demeurent tendus encore à la fin du XIXe siècle. L’anathème jeté par Champfleury, Lamartine et surtout Baudelaire sur la photographie comme médium de reproduction (au service des sciences naturelles ou alors pouvant être une humble servante des arts) paraît toujours en vigueur. Le statut de la photographie en tant que forme esthétique à part entière reste précaire parce que même ceux qui y recourent sont prêts, tel Judas[40], à la trahir dans une enquête publique. L’attitude ambivalente de Rodenbach devient compréhensible lorsqu’on tient compte de la réaction de ses contemporains amis, dont Mallarmé, Daudet, les Goncourt, Huysmans et Verhaeren : ils félicitèrent unanimement leur homologue pour son « œuvre » remarquable, parlant de Bruges-la-Morte avec admiration et justesse, sans dire mot des photographies. En manifestant un intérêt exclusif pour le texte littéraire, ils exprimèrent tacitement leur désaveu des figurations photographiques de Bruges. La contagion du genre romanesque par la photographie perçue comme un corps étranger, un élément intrus, n’était pas souhaitable pour les milieux littéraires de l’époque, mis à part dans le roman dit populaire. Rodenbach ne récidivera pas, réservant l’aventure photolittéraire à cette seule expérience. D’autres lui emprunteront cependant le pas…


En 1992, G. W. Sebald publie Die Ausgewanderten (Les Émigrants[41]), composé de quatre récits à teneur mélancolique et « illustrés » (tel est le sous-titre en français) d’un nombre variable d’images en noir et blanc dont la valeur de documents authentiques ne semble faire aucun doute, du moins de prime abord. Cent ans précisément après la parution de Bruges-la-Morte, le roman hybride ne suscite plus le moindre soupçon. La qualité moyenne des reproductions insérées dans les récits, ainsi que les liens que le lecteur peut aisément établir entre ce qu’il lit (le destin de quatre émigrants allemands ou lituanien) et ce qu’il voit (des photographies extraites d’albums de famille, des lieux et des objets auxquels renvoie explicitement la narration) le confirment dans l’idée qu’il s’agit de pièces à conviction. Le narrateur à la première personne joue la carte de la documentation en appuyant son enquête sur quatre figures liées de près ou de loin à son histoire personnelle – « Dr Henry Selwyn », « Paul Bereyter », « Ambros Adelwarth » et « Max Ferber[42] » – par diverses sources iconiques, dont un nombre considérable de photographies. Les apparences sont pourtant trompeuses ; comme dans le cas de l’ancêtre photolittéraire, Bruges-la-Morte, les images ne sont pas ce qu’elles paraissent[43]. Recontextualisées au sein de l’espace du roman, détournées de leur vocation initiale, les photographies changent de sens au contact du récit ; la narration est à son tour empreinte par les photographies (ainsi que par d’autres documents visuels) placés en regard du texte, intercalés en médaillon, ou alors précédant le récit.


Dans la fiction du veuf se réfugiant dans Bruges pour y vivre son deuil, autant que dans la fictionalisation des trajectoires de quatre émigrants, les personnages portent en eux une charge mélancolique qui s’explique par ce qu’ils ont vu et vécu. Si la disparition précoce de la femme idolâtrée par Hugues Viane le laisse dans un état de mélancolie cannibale, dévorant son être-là dans le moment présent, qui font coïncider la grisaille de Bruges et l’humeur du protagoniste, dépourvu de tout élan de renouveau, la mélancolie dont souffrent les émigrants de Sebald est due à leur exil, à une situation politique qui les avait obligés à quitter leur pays. La mélancolie des personnages finit par teinter la vision du narrateur sebaldien[44] dont l’empathie vis à vis du destin de ces figures à la fois singulières et représentatives d’une collectivité autre se fait sentir à travers les quatre fragments de vie recomposés ; il s’agit de sauver leur mémoire de l’oubli. L’écriture fait office d’un travail de deuil[45], du nécessaire Trauerarbeit tant revendiqué par la génération de l’après-guerre et que Sebald assume en tant que sujet pensant qui fait face à la disparition et à la mort. Dans Bruges-la-Morte consacré à la mémoire d’un individu et dans Les Émigrants explorant davantage l’idée de commémoration de destins tragiques (dans le sens de fatal) que celle de la biographie de quatre personnages, les mots et les images actent une présence : ils médiatisant la perte, remédiant à une absence, à une disparition réelle ou métaphorique.


Andrea Oberhuber (Université de Montréal)




[1] Georges Rodenbach, Bruges-la-Morte, édition Jean-Pierre Bertrand et Daniel Grojnowski, Paris, Flammarion, 1998 [1892]. Désormais, les références à cet ouvrage seront indiquées par le sigle BM, suivi de la page, et placées entre parenthèses dans le corps du texte.


[2] Voir Jean-Pierre Montier, « Introduction », Jean-Pierre Montier, Liliane Louvel, Danièle Méaux et Philippe Ortel (dir.), Littérature et photographie, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2008, p. 7-14 ; Idem, « De la photolittérature », Transactions photolittéraires, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2015, p. 11-61 ; Philippe Ortel, La littérature à l’ère de la photographie. Enquête sur une révolution invisible, Nîmes, Éditions Jacqueline Chambon, 2002 ; Paul Edwards, Soleil noir. Photographie et littérature, des origines au surréalisme, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2008.


[3] Rappelons que les collaborations entre écrivains et photographes sont rares avant le XXe siècle et que de nombreuses tentatives échouent en raison des coûts d’impression trop élevés pour les éditeurs si l’on pense aux projets de V. Hugo, Le Rhin, et de T. Gautier, Voyage en Russie. L’ajout d’épreuves, en regard du texte, rendait la réalisation commerciale risquée ; ce n’est qu’à partir du moment où aura été mise en place une imprimerie photographique efficace que la mise en œuvre d’une collaboration interartistique devient rentable. Voir Philippe Ortel, op. cit., p. 17-20. Pour les célèbres illustrateurs du XIXe siècle, voir Philippe Kaenel, Le métier d’illustrateur : Rodolphe Töpffer, J.-J. Grandville, Gustave Doré, Genève, Librairie Droz, 2004.


[4] Notons, pour mieux y revenir plus loin, que cette première page constitue une exception quant au partage du texte et de l’image sur la même page : l’image photographique précède littéralement le texte, servant ainsi de porte d’entrée à une intrigue teintée de gris et de noir, métaphores de la mort, du deuil et de la mélancolie.


[5] En 1892, Rodenbach est le premier à pouvoir profiter des progrès dans le domaine de l’impression photographique afin d’intercaler entre les pages de son roman des reproductions de cartes postales de Bruges. Pour plus de détails sur les clichés photographiques, voir Paul Edwards, « Notes sur les négatifs », dans Bruges-la-Morte, op. cit., p. 315-319.


[6] Publié en feuilleton dans Le Figaro entre le 4 et le 14 février 1892, Bruges-la-Morte ne contenait aucune image. L’idée d’augmenter le bref récit d’un certain nombre de similigravures est née avec le projet de publication en volume. Il s’agissait en effet d’étoffer les 13 chapitres d’une concision assez extrême : Rodenbach ajouta alors à l’édition définitive chez Flammarion deux chapitres supplémentaires (VI et XI), mais nous ignorons jusqu’où allait sa participation dans le choix iconographique. Voir Jean-Pierre Bertrand et Daniel Grojnowski, « Présentation » à Bruges-la-Morte, op. cit., p. 12-15.


[7] Philippe Ortel, op. cit., p. 305.


[8] Paul Edwards, Soleil noir, op. cit., p. 34.


[9] Voir Renée Riese Hubert, Surrealism and the Book, Berkeley, University of California Press, 1988, p. 3-17.


[10] Hugues Viane est, de fait, aux prises avec ce que Pierre Fédida appelle le « cannibalisme mélancolique » tant le protagoniste souhaite « dévorer l’objet d’amour auquel le moi est lié par cette identification primitive qui porte en elle la menace de sa propre rupture » : L’absence, Paris, Gallimard, 1978, p. 65.


[11] Dès les premiers passages du roman, le veuf est associé au « Ténébreux », à « l’Inconsolé » du poème de Nerval, « El Desdichado » (1854).


[12] Paul Edwards parle de l’œil de Viane comme d’un « œil enregistreur » qui le guide dans sa « démarche scopophilique » : « Spectres de Bruges-la-Morte », Marie-Dominique Garnier (dir.), Jardins d’hiver : littérature et photographie, Paris, Presses de l’École normale supérieure, 1997, p. 125.


[13] Dans « Deuil et mélancolie » (Métapsychologie, Paris, Gallimard, 1971 [1915], p. 148-149), Freud constate que la « mélancolie se caractérise du point de vue psychique par une dépression profondément douloureuse, une suspension de l’intérêt pour le monde extérieur, la perte de la capacité d’aimer, l’inhibition de toute activité et la diminution du sentiment d’estime de soi ». Ce dernier symptôme se manifeste selon le psychanalyste sous forme de « reproches » et d’« auto-injures et va jusqu’à l’attente délirante du châtiment » (p. 149) ; le protagoniste de Bruges-la-Morte échappe à ce comportement autodénigrant.


[14] Pierre Fédida, op. cit., p. 65-66.


[15] Roland Barthes, La chambre claire. Note sur la photographie, Paris, Gallimard-Seuil-Cahiers du Cinéma, 1980, p. 109, 106, 168.


[16] Cette idée à laquelle est souvent ramenée la pensée barthésienne (et que Susan Sontag désigne par l’expression ancienne « memento mori » : Sur la photographie, Paris, Christian Bourgois, 2000, p. 29) m’est utile ici pour aborder les interférences entre le récit de deuil et la charge mélancolique des photographies de Bruges.


[17] Paul Edwards, « Spectres de Bruges-la-Morte », loc. cit., p. 130.


[18] Ibid., p. 130.


[19] Sur quelques photographies reproduites (par exemple, p. 135, p. 219 ou p. 243), lorsqu’on regarde attentivement les images, on perçoit des êtres humains, tout petits à côté des monuments imposants, mais il faut presque une loupe.


[20] Roland Barthes, op. cit., p. 23.


[21] On pense inévitablement aux premières photographies de Niépce et de Daguerre marquées elles aussi, à cause des longs temps d’exposition, de l’absence humaine.


[22] Pour tous les détails de technique photographique, voir les explications de Paul Edwards, « Notes sur les négatifs », loc. cit., p. 315-319.


[23] Voir Xavier Fontaine, « La photo mystère de Bruges-la-Morte », dans Jean-Pierre Montier (dir.), Transactions photolittéraires, op. cit., p. 137-156.


[24] Rappelons que Barbe, la servante du protagoniste, se rend régulièrement au Béguinage et qu’elle souhaite y passer la fin de ses jours.


[25] « Sur le cadavre gisant, Huges avait coupé cette gerbe, tressée en longue natte dans les derniers jours de la maladie. N’est-ce pas comme une pitié de la mort ? Elle ruine tout, mais laisse intactes les chevelures. » (BM, 53-54)


[26] Voir l’anthologie de textes polémiques rassemblées par Paul Edwards, Je hais les photographes ! Textes clés d’une polémique de l’image, 1850-1916, Paris, Anabet éditions, 2006.


[27] François Arago, « Rapport de M. Arago sur le daguerréotype » lu à la séance de la Chambre des Députés le 3 juillet 1839, et à l’Académie de Sciences, le 19 août 1839 ; reproduit dans Du bon usage de la photographie, anthologie de textes choisis et présentés par Michel Frizot et Françoise Ducros, Paris, Centre National de la photographie, 1987, p. 11-14


[28] Voir Jérôme Thélot, « L’invention de la photographie : Bruges-la-Morte de Rodenbach », Les inventions littéraires de la photographie, Paris, PUF, 2003, p. 168.


[29] Voir Philippe Ortel, op. cit., p. 306.


[30] Ibid.., p. 306.


[31] Roland Barthes, op. cit., p. 22.


[32] Seul le chapitre XII en comporte quatre. Voir Daniel Grojnowski et Jean-Pierre Bertrand, « Présentation », Bruges-la-Morte, op. cit., p. 15.


[33] Philippe Ortel, op. cit., p. 307.


[34] Au moment de la publication de Bruges-la-Morte, la photographie est encore largement associée à la reproduction du réel tel qu’il s’offrirait au regard humain, ainsi qu’à la valeur documentaire. Elle ne peut revendiquer le statut d’art selon ses détracteurs, parmi lesquels un nombre considérable d’écrivains de l’époque.


[35] Pour une lecture détaillée des coïncidences entre le texte et les images, voir Daniel Grojnowski, « L’invention du récit-photo : Bruges-la-Morte de Georges Rodenbach », Photographie et langage : fictions, illustrations, informations, visions, théories, Paris, José Corti, 2002, p. 108-114 et Véronique Henninger, «  Le dispositif photo-littéraire. Texte et photographies dans Bruges-la-Morte », Romantisme, 2015, vol. 169, no 3, p. 114-121.


[36] Joan Fontcuberta, « Borges et moi », La Pensée de midi, 2000, no 2, p. 54 et p. 55.


[37] Cette enquête est reprise intégralement dans le « Dossier documentaire » qui accompagne Bruges-la-Morte, op. cit., p. 319-334.


[38] Georges Rodenbach cité dans « Dossier documentaire », Bruges-la-Morte, op. cit., p. 331-332.


[39] Ibid., p. 332.


[40] Rappelons avec Joan Fontcuberta (Le Baiser de Judas : photographie et vérité, Arles, Actes Sud, 2005 [1996]) que contrairement à la vulgate encore largement répandue aujourd’hui, la photographie a partie liée non seulement avec la trahison de l’image prise grâce à un appareil (mécanique ou numérique) si l’on pense aux effets de cadrage d’une image au moment de la prise de vue et aux possibilités d’intervention sur le négatif, entre autres ; mais que le lien avec la trahison existe également à travers le judas optique, dispositif visuel permettant d’épier la personne devant la porte ce qui n’est pas sans évoquer l’analogie avec le principe du diaphragme et de l’objectif de l’appareil photographique.


[41] W. G. Sebald, Les Émigrants, Arles, Actes Sud, 1999 [Die Ausgewanderten : vier lange Erzählungen, 1992].


[42] Ce sont les titres des quatre récits composant Les Émigrants. Le narrateur dévoile toujours le lien particulier qu’il a entretenu avec ces exilés, tantôt parce qu’il les aurait rencontrés personnellement, tantôt parce que, comme dans le cas d’Ambros Adelwarth, il s’agirait d’un membre de la famille dont il aurait vu des photographies dans un album.


[43] Sebald explique en 2001 que les images sont pour lui des tremplins d’écriture, des moteurs du récit, qu’il les collectionne et les conserve parfois pendant des années avant de rompre le silence qui leur est inhérent : « A reading evening with W. G. Sebald and Susan Sontag », Journal of European Studies (« Three Encounters with W. G. Sebald »), 2014, vol. 44, no 4, p. 394-397.


[44] À propos de la charge mélancolique de plusieurs romans de Sebald, voir Rüdiger Görner, The Anatomist of Melancholy : Essays in Memory of W. G. Sebald, Munich, Iudicium, 2005.


[45] Voir Susan Sontag, « A Mind in Mourning », Times Literary Supplement, 25 février 2000, p. 3-4.


 


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