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Anne Reverseau, Métaphore de l’album et métaphore de la projection : complexité des images et imaginaires photographiques en poésie

Résumé : À travers des poèmes de Léon-Paul Fargue, de Pierre Mac Orlan, de Louis Aragon et de Céline Arnauld, créatrice du mouvement « projectiviste » en 1925, cet article examine le fonctionnement des deux métaphores les plus importantes dans les imaginaires photographiques de la poésie française du début du XXe siècle. Métaphore de l’album et métaphore de la projection, que les auteurs brouillent volontiers, sont intermédiales car où elles renvoient à différents media et à leurs intersections possibles.
mots-clés : album, media, projection, poésie
Référence électronique : Anne Reverseau . « Métaphore de l’album et métaphore de la projection : complexité des images et imaginaires photographiques en poésie », Revue internationale de Photolittérature n°1 [En ligne], mis en ligne le 11 octobre 2017, consulté le 25 avril 2024. URL : http://phlit.org/press/?articlerevue=metaphore-de-lalbum-et-metaphore-de-la-projection-complexite-des-images-et-imaginaires-photographiques-en-poesie
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Métaphore de l’album et métaphore de la projection : complexité des images et imaginaires photographiques en poésie


Les métaphores photographiques sont l’un des modes de relations possibles entre littérature et photographie, et non des moindres. Lorsqu’un texte littéraire est comparé à une photographie ou à la photographie, il l’est toujours, même lorsque ce n’est pas explicite, à tel ou tel usage de la photographie à telle ou telle époque. Il n’existe en effet pas une photographie, mais des photographies. Ce qui peut sembler une évidence l’est moins au regard d’une littérature théorique abondante de tendance ontologique et s’attachant à définir une essence de la photographie. Quel que soit l’intérêt théorique de ces recherches, il faudrait, nous semble-t-il, penser le medium photographique dans toute sa pluralité et les métaphores photographiques dans toute leur complexité. Celles-ci sont en effet tributaires des soubresauts techniques et historiques du medium. Plus profondément, elles relèvent aussi d’imaginaires photographiques hétéroclites, aussi contradictoires que la photographie comme technique scientifique et la photographie comme magie, ou encore enregistrement du réel ou instrument artistique.


Susan Sontag fait partie des auteurs qui ont pensé la photographie en termes d’usages. Sur la photographie s’ouvre notamment par l’évocation des différentes façons de frayer avec la photo : « On les colle dans des albums, on les encadre et on les pose sur des tables, on les punaise aux murs, on les projette sous forme de diapositives[1] ». La projection de photographies n’est pas l’usage qui vient le premier à l’esprit, et pourtant, ce fut pendant longtemps l’une des principales diffusions du medium. Un auteur de la Belle Époque évoquant la photo pour parler de son ouvrage pourra ainsi avoir en tête un type d’image très différent de ce que nous concevons aujourd’hui. C’est sans doute un des intérêts principaux des métaphores photographiques en littérature, celui de donner à voir toute la richesse d’un medium trop souvent perçu de façon univoque.


Parmi les nombreuses métaphores suscitées par la photographie en littérature –du roman balzacien qui entend « daguerréotyper[2] » la société à « l’écriture photographique du réel[3] » d’Annie Ernaux –, nous choisissons de nous concentrer sur celle de l’album et celle de la projection, à bien des égards opposées. Ce choix s’explique par leur fréquence dans la littérature française, et singulièrement dans la poésie du premier XXe siècle, particulièrement riche en images et métaphores liées à la modernité, mais aussi parce que ces deux métaphores permettent de repenser en littérature les frontières entre certains modèles médiatiques comme le cinéma et la photographie. En effet, écrit Olivier Lugon dans Fixe/animé, « [d]ès le moment où l’on cesse de réduire l’histoire de la photographie à l’histoire des tirages et où l’on prend en compte le champ immense de la photographie de projection, les frontières deviennent plus poreuses et la fixité même de l’image photographique se fait moins absolue[4] ».


Ce travail entend se placer du côté des écrivains pour étudier comment la métaphore révèle et forge à la fois les imaginaires photographiques. Il s’agit donc d’examiner la photographie au miroir de la poésie. Après avoir rappelé comment s’est construite historiquement l’opposition entre « image de lumière » et « image de papier »[5], on verra, à travers les exemples de Céline Arnauld, de Léon-Paul Fargue et d’autres, quels sont les effets de ces métaphores photographiques, pour établir comment ces métaphores de l’album et de la projection mêlent nécessairement divers imaginaires médiatiques en poésie.


Projections et albums dans l’histoire de la photographie


La photographie « artistique » telle que l’a pensée le modernisme à partir de la fin des années 1930, avec ses tirages soignés et isolés sur un mur blanc, a occulté les autres modes de présentation de la photographie, notamment la projection et l’album, pourtant tout à fait essentiels dans l’histoire du medium, et partant dans les imaginaires photographiques véhiculés par les métaphores littéraires.


La projection ou l’image de lumière


Fig 1 : Publicité pour l’appareil de projection le « Scop », env. 1914, Europeana.


« Action de projeter avec un appareil, des rayons ou des images éclairées qui apparaissent sur un écran[6] », la projection a connu son âge d’or à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. On parlait alors de « lanterne de projection » ou de « projections animées » pour les premières séances de cinéma. Entre ce que va devenir le cinéma et ce qu’étaient, depuis le XVIIIe siècle, les dispositifs de projections pré-cinématographiques[7], on a aujourd’hui tendance à penser que la projection est le propre du dispositif cinématographique, et à oublier les projections photographiques, très fréquentes dans les années 1910[8].


 


Fig 2 : Projection en couleurs faite par monsieur Louis Gaumont à l’Académie des Sciences, le 10 novembre 1919, Europeana


Dans le domaine strictement photographique, les images stéréoscopiques et les autochromes étaient par exemple faits pour être projetés, et on employait au XIXe siècle des « vues pour la projection », « vues de projection » ou « vues à projection ». Le succès était tel, rappelle Anne Cartier-Bresson, que l’on s’est souvent servi de stéréoscopes en les coupant en deux pour les projeter[9]. Notons aussi que la projection est doublement un terme photographique puisque c’est aussi le procédé par lequel l’image se fixe sur le support.


 


 


 


Fig 3 : La Science et la Vie, n° 128, février 1928, couverture, Europeana


Outre son sens optique, le terme de « projection » est fréquemment employé à la Belle Époque, en physiologie, dans le cadre des théories de la perception, notamment, mais aussi de façon plus triviale. C’est que la projection est au cœur de ce que François Albera et Maria Tortajada appellent « l’Épistémè 1900 », « c’est-à-dire un imaginaire d’époque façonné, en amont et en aval, par les débuts du cinéma, selon au moins deux aspects : “les potentialités propres au medium ou à la machine […] et les attentes sociales […]”[10] ». Le cinéma n’a pas, en effet, occulté les projections d’images fixes à la Belle Époque : on oublie, écrit Olivier Lugon, que « jamais la projection d’images fixes n’a été aussi présente et aussi riche qu’au XXe siècle, en particulier dans les années qui suivent immédiatement l’avènement du nouveau medium[11] ».


L’importance de la projection photographique réside aussi dans le large spectre de ses applications, artistiques[12] ou didactiques. La Société française de géographie l’utilise beaucoup dans les années 1890. En 1917, encore, Victor Segalen témoigne de cet usage lors de sa conférence à la Royal Asiatic Society de Londres où d’excellentes plaques réalisées à partir de ses photos sur papier vont l’émerveiller :


Malgré mon dégoût de l’Art photographique et du Cinéma, j’avoue que le Tumulus de Ts’in Che Houang eut grand air quand il apparut sur trois ou quatre mètres d’écran blanc, avec un effet de perspective que la projection à grande échelle redonne curieusement[13].


La projection photographique est à la Belle Époque un instrument essentiel de l’archéologie et de sa vulgarisation. François Truffaut s’en souviendra dans son adaptation de la scène matricielle de Jules et Jim (1962), censée avoir lieu en 1912, au cours de laquelle les deux amis découvrent, lors d’une projection dans une cuisine, une statue de femme qui va les porter en Grèce et motiver leur amour pour Catherine. Ils sont également nombreux à avoir témoigné des projections de photos d’écrivains de Gisèle Freund qu’organisaient Adrienne Monnier et Sylvia Beach dans la librairie Shakespeare and Co[14].


Les projections photographiques se poursuivent longtemps au XXe siècle dans le cadre scolaire, mais aussi dans le cadre familial (jusque dans les années 1980) avant d’être reprises dans un cadre artistique, par Nan Goldin, bien sûr, mais aussi par Andy Warhol, Allan Sekula ou Dan Graham[15], ou encore, aujourd’hui, par le « diaporamiste » Pierre Leguillon.


L’album ou l’image de papier


Fig 4 : Album de photos de la famille Boever, qui habitait à Schifflange et à Tuntange au cours de la Première Guerre mondiale, page 18, Europeana.


Le terme « album », signifiant une tablette blanche et le lieu d’une inscription, s’est d’abord spécialisé dans le voyage pour désigner un registre personnel consignant faits marquants et rencontres. L’expression « album du voyageur » apparaît par exemple dans le fameux pamphlet baudelairien qui enjoint la photographie à rester dans son rôle d’adjuvant[16]. « Recueil personnel servant à réunir divers objets de collection notamment sous forme imagée », l’album peut être « de cartes postales », « de gravures », « de photographies » ou « de timbres » : c’est alors la notion d’image qui est première[17]. Si la photographie prend place dans une tradition de l’album comme répertoire d’images pour les peintres, nombreux sont les écrivains à avoir confectionné des albums, notamment des albums de cartes postales, comme Apollinaire ou Paul Éluard[18].


L’album aux photos collées est, il faut y insister, la forme des premiers livres de photographie, réalisés notamment par William Henry Fox Talbot et Anna Atkins, en Angleterre. C’est aussi au XIXe siècle un objet que l’on donne, comme le faisait Julia Margaret Cameron. Depuis les pratiques que l’on appellerait aujourd’hui « scrapbooking » dans l’aristocratie féminine anglaise de l’époque victorienne, l’album est un lieu de construction des rôles sociaux. Il est l’usage le plus commun de la photographie, celui que tout un chacun peut s’approprier[19]. Dans son discours célébrant le centenaire de la photographie, Paul Valéry le remarquait en 1939 avec vivacité :


« Chaque événement de l’existence se marque par quelque cliché. Point de mariage qui ne se constate désormais par l’image d’un couple en vêtements de noce ; point de naissance que l’enfant de quelques jours ne soit amené devant l’objectif […]. Dans chaque famille se conserve un album, un de ces albums qui nous mettent entre les mains les portraits devenus émouvants, les costumes devenus ridicules, les instants devenus ce qu’ils sont devenus, et tout un personnel de parents, d’amis et d’inconnus aussi, qui ont eu quelque part essentielle ou accidentelle à notre vie. La Photographie, en somme, a institué une véritable illustration de l’État-Civil[20]. »


L’importance de l’album privé dans l’histoire de la photographie a été étudiée par Sylvie Merzeau et Susan Sontag[21]. Elles ont montré, entre autres, que l’album permettait d’explorer son identité, de se penser et se représenter à la fois. Les artistes s’en sont d’ailleurs saisis au moment où les professionnels l’abandonnaient au profit d’autres supports[22]. On pense par exemple aux détournements de l’album par Jo Spence (Beyond the Family Album, 1979) ou par Christian Boltanski (Sans souci, 1991)[23].


 Album et projection : la photographie en tensions


Les sémioticiens, rappelle Philippe Ortel dans l’introduction de La Littérature à l’ère de la photographie[24], considèrent l’image comme un signe continu, par opposition à la chaîne discontinue du langage. Pourtant, la saisie de ce signe continu ne se fait pas de manière continue, mais par différents balayages et aller-retour. L’image s’appréhende même de manière tout à fait discontinue lorsqu’elle est mise en série, ce qui est le cas dans les albums comme dans les projections de photographies. Ce sont là deux usages qui s’opposent à un essentialisme de l’image d’abord parce qu’ils sont historiquement situés, mais aussi parce qu’ils ne peuvent exister qu’avec plusieurs images. Album et projection sont deux façons de mettre les images en série, deux formes de fragmentation de leur saisie.


Outre ce point commun important, tout semble opposer album et projection. L’album est le royaume de l’image privée, le lieu d’une existence biographique, tandis que la projection, jusqu’à la mode des projections de diapos familiales dans les années 1960, se spécialise dans le voyage et les images exotiques. Album et projection opposent le proche et le lointain, l’ici et le là-bas. Cette tension touche aussi à leur réception : tandis que l’album est rarement montré au delà de la sphère intime, les spectateurs de la projection constituent un public, fait de professionnels ou d’étudiants. À l’album correspondrait alors un mouvement d’appropriation de l’image que l’on peut qualifier de centripète tandis que le mouvement de la projection serait centrifuge. Il faut d’ailleurs se rapprocher physiquement des images de l’album, souvent de format réduit et légendées en petits caractères tandis que dans la projection, les images semblent venir à la rencontre du public. L’album est un objet que l’on tient sur ses genoux et se regarde seul ou avec une ou deux autres personnes, contre qui l’on se serre, alors que la projection instaure une distance avec l’image mais aussi avec le reste du public, constitué en collectif et non en famille.


À la matérialité de l’objet photographique dans l’album, qui jaunit et s’écorne, mais que l’on peut encore manipuler, notamment pour rechercher de potentielles annotations au verso, s’oppose l’immatérialité de l’image projetée : rayon lumineux transparent, la projection représente l’image sur laquelle on n’a pas prise. Cette différence porte aussi sur l’ordre d’apparition des images : un album se feuillette, on tourne les pages et revient en arrière à volonté, alors que dans la projection, la succession des images nous échappe et est la même pour tous.


C’est sans doute en raison de cette tension entre matérialité et immatérialité que l’album est perçu comme une image qui dure et la projection une image qui passe. L’album de photographies se rapproche du « keepsake » anglais, soit un album qui perpétue le souvenir d’une personne aimée. L’album est fait pour rester et être transmis aux générations suivantes tandis que la projection s’apparente davantage à l’actualité, qui, par définition, passe.


Parce que les photographies projetées sont bien vite « animées », et deviennent ainsi dans l’imaginaire collectif une forme de pré-cinéma, la projection a partie liée avec le mouvement. À l’inverse, parce que l’album a été utilisé depuis ses débuts comme memento mori, l’immobilité de la mort venant comme redoubler la fixité des images dans l’imaginaire, il s’oppose à toute idée de mouvement. Cette immobilité se transmet aux regardeurs : l’album semble inviter à une attention soutenue, à l’expérience de la contemplation, voire à une forme de méditation sur l’image[25].


La distinction entre image de lumière et image de papier méritait donc d’être approfondie. Outre leurs conditions d’apparition historiques respectives, leur opposition renferme des tensions du medium photographique même. Dans ces conditions, l’imaginaire photographique est nécessairement pluriel. Les métaphores photographiques des écrivains, et singulièrement des poètes, renforcent-elles cette dichotomie ou construisent-elles un autre imaginaire médiatique de la photographie ?


Dans les textes poétiques, album et projection comme métaphores de l’écriture


Comment identifier une métaphore photographique en poésie ? Sa présence peut être explicite, notamment dans le paratexte, revendiquée dans une préface ou apparaissant dans des titres de recueil ou de poème relevant du vocabulaire de la photographie. Il peut également s’agir de l’emploi d’un lexique photographique, par exemple le verbe « révéler », ou plus spécifiquement, pour ce qui nous occupe ici, de l’isotopie de l’album (le verbe « feuilleter », notamment) ou de la projection (les termes « écran », « images lumineuses », etc.). La métaphore photographique est parfois plus implicite et relève de ce que Bernard Vouilloux appelle une « perception artistique[26] », par exemple lorsqu’une description évoque une image photographique, par son usage du cadre, des noirs et blancs, ou encore le mouvement arrêté.


De manière générale en littérature, album et projection sont souvent convoqués comme métaphores de la mémoire. De façon plus spécifique, en poésie, il semble qu’ils soient aussi utilisés comme métaphore de l’écriture. Après un arrêt sur la métaphore de la mémoire, on insistera sur l’usage que font de la projection et de l’album deux poètes en nourrissant l’analyse d’autres exemples poétiques.


Métaphores de la mémoire : écriture de soi et lyrisme


Album et projection sont deux métaphores particulièrement présentes dans l’écriture autobiographique. La projection est relayée par l’image de la lanterne magique pour signifier le procédé consistant à écrire ses souvenirs comme on donnerait à voir certains tableaux de sa propre mémoire : l’écrivain actionne son manège à images sous les yeux ébahis d’un lecteur. La métaphore se trouve chez Proust et, sous une forme plus structurante, dans l’autobiographie de Nabokov, Autres rivages[27]. L’image de l’album d’une vie que l’on feuillette sert aussi de métaphore au texte autobiographique : il est, par exemple, la ligne conductrice d’Agfa Box, Histoires de chambre noire de Günther Grass (2010) – voir dans ce même numéro l’article de Danièle Méaux – et des Années d’Annie Ernaux (2008). Les deux métaphores se complètent car l’écriture autobiographique est à la fois lieu de recueillement, de retour sur soi, que symbolise bien l’image de l’album photographique, et lieu de transmission, d’ouverture vers l’autre, processus bien rendu par l’image de la projection. Notons que contrairement à l’image de la projection animée, la métaphore de la projection fixe a pour avantage de mettre l’accent sur l’opérateur, l’écrivain, qui choisit les moments qu’il va fixer, le rythme et le chapitrage de la projection et semble ainsi le maître à bord, contrairement à l’opérateur qui est derrière la caméra au cinéma.


Les deux métaphores sont ainsi fréquemment utilisées par Pierre Mac Orlan[28]. La projection apparaît en général dans ses textes autobiographiques sous la forme d’un « film », comme dans ce texte tardif où l’écrivain évoque sa vie en termes d’images tant fixes qu’animées :


La chronique de ma fin d’adolescence s’inscrit entre deux images : l’une qui me représente à Rouen en 1903 et l’autre qui me représente assis dans mon fauteuil, devant mon propre film que je déroule discrètement dans la lumière rouge de mon laboratoire qui n’est pas exempt d’une profitable mélancolie[29].


L’album vient souvent en appui à ce type de métaphore visuelle de la mémoire, comme dans l’article, « Entre deux portes », où Mac Orlan écrit que « les vieux hommes » sont « comparables à de puissants albums d’images bien faites dont la pérennité sembl[e] assurée[30] ».


La métaphore de la projection peut être associée à l’écriture autobiographique en poésie aussi. C’est notamment le cas chez Aragon dans la section « Spectacle à la lanterne magique » du recueil Les Poètes qui égrène les souvenirs de façon fragmentaire et sérielle, dits par un homme vieux et maigre mis en scène « selon la tradition du Matamore », qui « montre au public sur un écran soudain qui s’éclaire / avec un cadre d’or […] les / images peintes du futur se succédant sans transition / dans le petit corridor d’or de sa lanterne[31] ». Ce personnage du « montreur » intervient dans cette série de poèmes pour faire revivre les morts et commenter les images du passé parisien (le quatorzième arrondissement, le quai de Béthune) ou de la guerre. Il déroule ainsi, à travers des formes variées, une histoire de la poésie. Dans le dispositif de projection « Spectacle à la lanterne magique », le poète est à la fois l’opérateur (le « montreur »), la source des images (le film) et l’écran (le lieu de la projection).


Les différents niveaux de lecture de cette métaphore de la projection chez Aragon laissent penser qu’elle est utilisée de manière plus complexe en poésie que dans les écrits autobiographiques en prose. Dans La Littérature à l’ère de la photographie, Philippe Ortel a analysé la naissance, en poésie, du « paradigme indiciaire » de la photographie qui s’ouvre dès l’époque romantique, notamment dans le chapitre « Le poète comme écran[32] ». Cette métaphore de l’écran, que partagent imaginaire cinématographique et imaginaire photographique fait notamment l’objet d’une étude de détail dans les poèmes de Reverdy[33]. Dans « Drame » et « Cinéma », Philippe Ortel a par exemple montré que sa poésie pouvait « devoir quelque chose au cinéma en tant que modèle figuratif ». Un autre poème de Reverdy, « Paris prévu », qui charrie une grande diversité d’opérateurs visuels et de modèles spectaculaires (dispositifs archaïques de projection comme panorama, diorama, ombres chinoises, silhouettes et modèles plus récents que sont la photographie et le cinéma), permet de voir comment l’idée du lyrisme de la projection de soi sur l’écran poème se transforme ici en ce que Reverdy appelle un « lyrisme de la réalité », c’est-à-dire en un lyrisme sans « Je », un « lyrisme impersonnel ». En effet, dans « Paris prévu », il n’y a pas l’ombre d’un « je » : la vision est donnée sur le mode du « il y a », et c’est la ville qui sert d’écran à tous les types de projections :


« Il y a parfois dans la ville ceux qui ne bougent plus entre les murs noircis comme des pages pleines


        Le cadre illuminé passant sur les trottoirs […]


              La ville tourne autour de l’obélisque et la province regarde les images


        Les images en relief et en couleurs


              Il y a au fond de l’air cette algue majuscule


                        Cette tête nue sous les éclairs


         Cette figure précise plus fine et plus réelle qui se détache en clair


                                   Sur le brouillard[34] »


La poésie nous semble constituer un terrain idéal pour l’étude des métaphores médiatiques en général et des deux métaphores photographiques particulières qui nous occupent ici, parce qu’elle est elle-même le terrain du rapprochement par fulgurance et par contiguïté. Elle rend ainsi les effets de sens plus frappants, et les tensions plus visibles.


Là où le roman ou l’essai vont utiliser un modèle médiatique de façon plus explicite et argumentée, la poésie permet des emplois plus mobiles de la métaphore médiatique. Le romancier va se comparer à un daguerréotypeur, l’essayiste faire de son ouvrage l’enregistrement photographique d’une réalité : le comparé et le comparant sont alors plus stables que dans le cas d’un poème qui va massivement utiliser un lexique photographique, voire des titres métaphoriques sans que l’on sache si l’enregistrement photographique, par exemple, est le fait du poète ou du poème, si l’image photographique signifie celle qu’on aurait pu prendre ou celle qu’on a prise et développée, comme en témoignent les exemples d’Aragon et de Reverdy. Les métaphores médiatiques peuvent être en poésie plus glissantes et plus labiles, ce qui les rend particulièrement intéressantes.


Céline Arnauld : la projection comme métaphore de la poésie


Fig 5 : Revue Projecteur, Céline Arnauld (dir.), Au Sans pareil (Paris), 1920, Bibliothèque nationale de France (réserve), couverture.


Compte tenu de ses traits historiques et techniques, la projection photographique paraît, au début du XXe siècle, toute désignée comme métaphore moderne du lyrisme, l’expression de soi désignant littéralement un mouvement de l’intérieur vers l’extérieur. Si l’on ajoute à l’expression du mouvement le sème de la lumière, le poète étant, dans la mystique occidentale, le porteur de lumière, à la fois Orphée et Apollon, on comprend le succès de la métaphore à une époque où les « projections lumineuses » ou « projections fixes » connaissent une belle fortune.


Fig 6 : Céline Arnauld, « Luna Park », Projecteur, ibid., n.p.


Nul poète n’a davantage utilisé cette métaphore que Céline Arnauld, tant dans ses textes poétiques que ses textes critiques. Les poèmes de cette femme de lettres peu connue, épouse de Paul Dermée, lui aussi oublié – couple dont les œuvres complètes ont récemment été rassemblées[35] –, sont d’abord remarquables par la surabondance de dispositifs optiques qui servent de métaphores à son écriture poétique, comme les titres de poèmes « Périscope[36] » ou de recueils : Lanterne magique, Diorama, Point de mire. Elle multiplie les jeux de miroirs et palais des glaces, dans « Luna Park » par exemple, et nombre de ses poèmes commencent par des trous de serrure à travers lesquels on regarde, des « claire-voies[37] », des fenêtres, des portes, et même des cordes de harpe entre lesquelles on voit. Ces dispositifs qui orientent le regard dans le texte ne sont pas proprement photographiques, mais optiques. Leur point commun est qu’ils peuvent relever de la projection qui pour cette poète dada radicale et polémiste, est plus qu’une métaphore. C’est un modèle poétique et le concept à la base d’un mouvement littéraire qu’elle entend créer, le « projectivisme », porté par une revue intitulée Projecteur, qu’elle définit dans son avant-propos à Diorama (1925) :


C’est une poésie que je prétends unique parce que, rentrée en moi-même, j’ai cherché d’où me vient l’inquiétude, l’amour et la souffrance. Et cette vie profonde que j’ai découverte en moi, je l’ai projetée dans mes œuvres avec toutes ses irisations, tout son imprévu et ce qu’elle peut avoir de déconcertant pour notre raison[38].


Elle ajoute : « Cette “projection” de notre vie profonde, dans des œuvres, est selon moi la poésie même[39] ». La projection ne sert donc pas à Céline Arnauld à définir une esthétique : c’est le mouvement même de la poésie, sa pratique, sa mise en acte et une façon de la vivre.


Dans son recueil intitulé Diorama, on comprend que le « projectivisme » est une véritable utopie, décrite en des termes propres à cette époque de discours avant-gardistes à la fois définitifs et imagés, en lisant que « la vraie révolution mondiale » est « la révolution projectiviste », et que « le projectivisme dégage le rêve de la lumière sourde d’une lampe mourante et le lance devant lui comme un phare[40] ». Elle poursuit, en des termes qui évoquent cette fois davantage les métaphores surréalistes issues du monde naturel :


Les poètes projectivistes marchent sur la réalité sans l’apercevoir, plongent dans leur silence au milieu même d’une assemblée, promènent leur rêve partout comme un éventail de la fantaisie. Ils prennent les regards railleurs pour des mouettes de passage et les réverbères pour des plantes marines. Et ils s’en vont comme cela tout le long de leur rêverie, accompagnés de leurs richesses poétiques : leur cœur et leur humanité[41].


La métaphore de la projection sert ici à exprimer le rapport entre intérieur et extérieur, rapport qui est le point nodal de la poésie moderne, comme les travaux de Laurent Jenny l’ont bien montré[42].


On trouverait une utilisation similaire de la notion de la projection chez un poète comme Pierre Albert-Birot, qui file la métaphore tout au long de La Joie des sept couleurs, qui est un long hymne imagé à la vie. Faire un « beau poème » répond chez lui à un élan vital pensé sous la forme d’une projection joyeuse de soi, en mouvement, d’un « je » qui ne fait que « passer » : « il y a des gens qui passent dans la projection et qui ne sont pas éclairés. […] Personne n’a jamais vu le moteur qui produit la lumière[43] ». Et, plus loin :


« la musique change la couleur et la forme des choses quand elle passe.


   Quand elle s’arrête c’est une projection qui s’éteint […]


    Ceux qui sont passés ne m’ont pas vu[44] »


La métaphore de la projection est néanmoins, dans le cas de Pierre Albert-Birot, bien plus proche de l’imaginaire cinématographique que de l’imaginaire photographique, qui apparaît, en contraste frappant, dans le même poème, par des images fixes et des albums d’images mortes.


Fargue : l’album ou la métaphore essentielle


Après la pulsion vitale et l’énergie symbolisées par la projection pour Pierre Albert-Birot et Céline Arnauld, l’album photographique semble en effet bien immobile et mortifère. Il apparaît souvent en poésie comme un recueil d’images sans vie, monotones à force d’être stéréotypées. L’album de cartes postales topographiques, par exemple, sert de métaphore à Valery Larbaud, dans un recueil d’anecdotes et de souvenirs sur la vie d’hôtel, 200 chambres, 200 salles de bains :


[…] des jours passaient sur ces foules, sur la ville grande ouverte comme un album inlassablement feuilleté près des hautes fenêtres, jusque sous la dernière clarté du jour, jusqu’à ce qu’on n’y voyait plus[45].


La métaphore de l’album est un trait d’époque, de la Belle Époque aux années 1920, mais elle joue aussi un rôle plus essentiel chez un auteur comme Léon-Paul Fargue, grand ami de Valery Larbaud, notamment dans ses premiers poèmes en prose, publiés en 1912 mais composés avant 1906[46]. Ces poèmes se présentent en effet souvent comme une série d’images-souvenirs à feuilleter :


Regarde passer nos jours et nos rêves. De vieux complices nous les tournent, comme on regarde les images. Ils séparent l’écran nocturne. Ils sont déjà là, sans qu’on les ait vus venir[47].


Les Poëmes se nourrissent d’images mentales, de souvenirs qui défilent et s’immobilisent dans la mémoire du poète comme en un album. Notons que chez Fargue, la mémoire a besoin de révéler ses propres images, par une exposition à la lumière ou un temps de latence, souvent lié à un imaginaire chimique du bain photographique. Des « souvenirs d’un passé qui dort dans une ombre si transparente » deviennent par exemple une « persistante vision[48] » dans un poème qui utilise massivement la métaphore photographique, notamment celle de la « Chambre noire » où repose un homme « comme une épreuve qu’on révélera dans doute un jour[49] ».


Dans le même recueil, on remarque que les souvenirs empruntent à la photographie leur fixité : le premier poème est par exemple dédié à un père qui apparaît « avec [un] sourire mystérieux, contraint, à jamais fixé[50] ». Ils lui empruntent aussi leur caractère tangible et manipulable puisque les souvenirs peuvent être rassemblés en bouquet, déplacés ou offerts : « Mes souvenirs.. Je les tiens[51] ». La métaphore de l’album n’est pas seulement chez Fargue une métaphore de la mémoire, c’est aussi ce qui définit le lieu et le rôle du poème. La poésie joue en effet pour lui une mission mémorielle semblable à l’album de photographies des défunts que l’on conserve et transmet à travers les générations. La poésie est elle-même album, c’est-à-dire instrument mémoriel de résurrection familiale.


Plus tardivement, dans l’entre-deux-guerres, quand la poésie farguienne devient moins symboliste et plus prosaïque, la métaphore de l’album est toujours présente, notamment dans la formulation d’une poétique, en entretien avec Frédéric Lefèvre où Fargue s’exprime ainsi : « J’aimais prendre l’impériale, déchiffrer et l’album des boulevards, capturer un papillon d’objets par les fenêtres ouvertes, déchiffrer et “penser” les magasins […][52] ». L’acte de feuilleter un album est fréquemment rapproché par Fargue de l’acte de marcher. La ville apparaît pour lui comme le terrain d’une exploration de proximité, avec ses découvertes, son exotisme et ses surprises, et comme le champ d’application de la poésie de reportage. Cette manière d’appréhender le monde extérieur comme un ensemble d’images déjà constitué est symptomatique de l’écriture visuelle de Fargue, qui, comme Mac Orlan, a publié des textes ou des livres en collaboration avec des photographes (une édition illustrée de Banalité en 1930, ou encore « Pigeondre » paru dans Minotaure avec une photo de Brassaï en 1935[53]). Pour lui, l’album désigne autant le lieu où sont rassemblés les souvenirs, le processus de la mémoire, le poème, que le réel lui-même.


C’est l’imaginaire de l’album qui nourrit chez Fargue une vision photographique du monde. Chez d’autres, comme Céline Arnauld, Pierre Mac Orlan, ou Pierre Albert-Birot, c’est l’imaginaire de la projection qui domine. Chez d’autres poètes encore, ce sera l’imaginaire chimique des bains, celui de la carte postale ou encore celui du noir et blanc.


La poésie, lieu de l’intersection métaphorique


En se plongeant dans des textes poétiques comme ceux de Fargue, on saisit que la projection n’est pas seulement un mode de présentation de l’image, mais aussi une étape de la fabrication de l’image même. Les utilisations métaphoriques des médias par les poètes permettent de mieux saisir, peut-être, la complexité des imaginaires médiatiques. Il nous semble par exemple que la métaphore de la mémoire comme chambre photographique, en passe de devenir un cliché depuis le XIXe siècle, métaphore qui appartient selon Jérôme Thélot à la « période classique de la photographie » qui « va de Hugo jusqu’à Proust[54] , se nourrit des deux métaphores à bien des égards contradictoires de l’album et de la projection. Si l’on décompose ce qui constitue une « allégorie », en effet, on comprend que les souvenirs marquent le papier sensible de la mémoire soit par projection lumineuse, soit par contact direct (empreinte), et que ceux-ci sont stockés dans une mémoire qui prend la forme d’un album avec des images isolées, fragmentées et rangées, que l’on peut consulter lors du processus de remémoration. La métaphore est toutefois plus complexe, comme nous l’ont montré les poètes. En effet, la projection peut aussi être le mode de consultation de ses propres souvenirs – c’est le cas chez Mac Orlan. Inversement, l’album n’est pas forcément le résultat du processus mémoriel : il peut désigner un ensemble d’objets à enregistrer – c’est le cas chez Fargue.


La poésie est donc le lieu où s’incarnent et s’affinent les tensions entre imaginaire de l’album et imaginaire de la projection que nous avons examinées au début de ce travail. Les usages métaphoriques par les poètes font apparaître des tensions propres au medium photographique. Mais, à une autre échelle, ils permettent de concevoir que la photographie n’est jamais convoquée seule quand il s’agit de projection et d’album. En effet, la poésie est le lieu des intersections et toute métaphore charrie des imaginaires médiatiques complexes qui appartiennent à différentes époques de son histoire, mais qui relèvent également d’autres media. Le processus métaphorique semble s’opposer fortement à l’idée de pureté des media et éclaire d’un jour nouveau l’entremêlement des réseaux médiatiques.


 


Dans ce parcours à travers certains imaginaires photographiques en poésie, nous avons pu voir que la métaphore de la projection était le lieu d’un brouillage entre cinéma et photographie[55]. Les exemples de Céline Arnauld, de Reverdy, mais aussi de Mac Orlan[56], nous ont montré que la projection n’était pas une métaphore exclusivement photographique. Dans les années 1910 et 1920, en particulier, la projection fait partie des objets, comme le photogramme ou le portrait animé[57], où se croisent cinéma et photographie. L’album n’est pas non plus uniquement photographique puisqu’il évoque plus largement la sphère du croquis, du dessin et de la gravure. Cette métaphore, telle qu’elle est souvent pratiquée dans la poésie du XIXe siècle, peut renvoyer à une série de vues lointaines et non à l’album de famille, par exemple dans la poésie de Jules Laforgue[58]. En outre, l’album charrie un imaginaire du livre, du recueil, voire de l’anthologie. Dans Illusions perdues, par exemple, l’album est le lieu d’un rapport intime à la poésie puisque Lucien écrit ses stances dans l’album de Mme de Bargeton, sens que l’on retrouve dans le titre Album de vers anciens de Paul Valéry.


Les métaphores de la projection et de l’album en poésie sont donc intermédiales dans la mesure où elles renvoient à différents media et à leurs intersections possibles (les photographies animées, le livre illustré, etc.). Comme Véronique Campan l’a montré pour la projection, l’usage métaphorique d’une telle notion « désigne aussi bien un processus technique qu’une transaction imaginaire, voire un mode de lecture ou de spectature[59] ». Comme elle a établi que la projection était une métaphore critique pour les théoriciens des rapports entre texte et image, on pourrait mettre en avant la valeur heuristique de ces types de métaphores pour les poètes. Marie Martin, notamment, a insisté sur le rôle intermédial de la métaphore projective dans la littérature contemporaine[60] qui permet, pour les écrivains comme pour les critiques, de « caractériser à nouveaux frais les interactions entre l’écrit et le filmique[61] ».


Les métaphores photographiques sont-elles alors forcément intermédiales ? Les imaginaires médiatiques des poètes et écrivains renvoient-ils nécessairement à plusieurs media ? Sans que cette étude ne suffise à répondre à cette question générale, les métaphores de la projection et de l’album permettent de repenser le rapport entre imaginaire médiatique et conditions matérielles (histoire et technique), mais aussi de comprendre comment, en littérature, un medium est souvent convoqué avec, contre, en parallèle, etc., mais toujours en rapport avec un autre medium.


 


Anne Reverseau, FWO, KU Leuven


 




[1] Susan Sontag, Sur la photographie, trad. Philippe Blanchard, Paris, Christian Bourgois, 2008, p. 17.


[2] Balzac, Splendeurs et misères des courtisanes, préface de 1844 : « Bien des gens ont eu la velléité de reprocher à l’auteur la figure de Vautrin. Ce n’est cependant pas trop d’un homme du bagne dans une œuvre qui a la prétention de daguerréotyper une société où il y en a cinquante mille. » La Comédie humaine, t. 6, P.-G. Castex (éd.), Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1977, p. 426.


[3] Annie Ernaux, Journal du dehors [1993], Écrire la vie, Paris, Gallimard, « Quarto », 2011, p. 500.


[4] Olivier Lugon, « Entre la photographie et le photogramme », Fixe/Animé. Croisements de la photographie et du cinéma au XXe siècle, Laurent Guido et Olivier Lugon (dir.), Lausanne, L’Âge d’Homme, 2010, p. 97.


[5] Ibid., p. 97-98. Olivier Lugon explique notamment que la pellicule a participé aux croisements entre le cinéma et la photo, comme la « projection lumineuse », remettant en cause une frontière bâtie sur l’opposition entre « image de papier » et « image de lumière ». Cet ouvrage collectif, qui s’attache à étudier différentes formes de croisement entre cinéma et photographie, montre que la distinction entre fixe et animé est l’objet d’une construction historique qui se produit autour de 1900, sous l’impulsion de la chronophotographie, jusque dans l’entre-deux-guerres qui voit une « occultation » ou un « refoulement » du paradoxe fixe/animé qui existe depuis la naissance du cinéma. S’ensuit alors une « minoration » de « l’imbrication filmique du fixe et de l’animé » (p. 26) dont Laurent Guido voit des preuves dans le mépris de la photographie chez Louis Delluc ou Germaine Dulac (p. 23-24).


[6] « Projection », Trésor informatisé de la Langue Française, en ligne : http://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/tlfiv5/visusel.exe?11;s=2690607000;r=1;nat=;sol=0.


[7] Sur le pré-cinéma, voir Les Arts de l’hallucination. Littérature, arts visuels et pré-cinéma au XIXe siècle, Actes du colloque de Turin (5-6 juin 1998), Donata Pesenti Campagnoni et Paolo Tortonese (dir.), Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2001, ainsi que l’article de Tom Gunning « The long and the short of it : centuries of projecting shadows, from natural magic to avant-garde », Art of Projection, Stan Douglas et Christopher Eamon (dir.), Berlin, Hatje Cantz, 2009, p. 23-35, qui insiste sur la filiation entre les fantasmagories ou spectacles d’ombre et les utilisations contemporaines en art.


[8] Voir le numéro de la revue Intermédialités consacré à la projection, qui cherchait à aller plus loin : « Suivant une démarche inspirée de l’archéologie des médias, il s’agit de dégager la projection de la perspective téléologique dans laquelle l’enferment trop souvent les études cinématographiques qui ont, par exemple, au fil des expositions organisées par les cinémathèques, défini la lanterne magique comme un dispositif précinématographique » (« Présentation », Intermédialités, n° 24-25, automne 2014/printemps 2015, « projeter / projecting », Larisa Dryansky et Érika Wicky (dir.), http://id.erudit.org/iderudit/1034153ar. Voir aussi, plus largement, les travaux de l’archéologue des médias Edwin Carels et ceux de Jonathan Crary, Techniques de l’observateur (Paris, Dehors, 2016).


[9] « Projection », Le Vocabulaire technique de la photographie, Anne Cartier-Bresson (dir.), Paris, Marval/Paris Musées, 2008, p. 353. Elle rappelle aussi qu’ « [a]vec l’avènement du gélatino-bromure, les épreuves par projection se multiplient et constituent une part importante de la pratique et du marché de l’image photographique, faisant l’objet de manuels spéciaux », comme le Traité général des projections de Eugène Trutat publié par Ch. Mendel en 1897 (ibidem).


[10] François Albera, « Le cinéma projeté », Médiamorphoses, n° 16, 2006, p. 40, cité par Marie Martin, « La projection comme opérateur intermédiatique : positions et propositions », Cinéma, littérature : projection, Rennes, Presses universitaires de Rennes, « La Licorne », n° 116, 2015, p. 11.


[11] Fixe/animé, op. cit., p. 98.


[12] Sur ce type d’utilisation peu connu, voir les projections lumineuses pictorialistes de Gustave Marissiaux (entre 1900 et 1920) qu’étudie Marc-Emmanuel Mélot dans « Projections photographiques et cinéma des premiers temps : La Houillère de Gustave Marissiaux et les origines du cinéma minier », Intermédialités, n° 24-25, op. cit., http://id.erudit.org/iderudit/1034156ar.


[13] Lettre de Victor Segalen à sa femme du 3 mai 1917. Segalen lui rend également compte du succès de la conférence le 6 mai 1917 : « Les projections ont très bien marché, au commandement, arrivant juste à point dans la phrase » (Correspondance, t. 2, Paris, Fayard, 2004, p. 858-859 et p. 860).


[14] Voir le témoignage de Gisèle Freund sur les deux projections des portraits d’écrivains devant ses modèles à Shakespeare and Co en 1939 et en 1968. Elle rapporte notamment les réactions des uns et des autres (Le Monde et ma caméra, Paris, Denoël, 2006, p. 104).


[15] Sur le renouveau de la projection dans l’art contemporain depuis les années 1960, voir Tom Gunning, art. cit. Il faut ajouter, au moment où ce texte est mis en ligne, la référence à la toute récente exposition du Musée de l’Élysée de Lausanne, Diapositive. Histoire de la photographie projetée (1 juin 2017 – 24 septembre 2017) ainsi qu’à son remarquable catalogue : http://www.elysee.ch/expositions-et-evenements/expositions/diapositive/


[16] « Qu’elle enrichisse rapidement l’album du voyageur et rende à ses yeux la précision qui manquait à sa mémoire, qu’elle orne la bibliothèque du naturaliste, exagère les animaux microscopiques, fortifie même de quelques renseignements les hypothèses de l’astronome ; qu’elle soit enfin le secrétaire et le garde-note de quiconque a besoin dans sa profession d’une absolue exactitude matérielle, jusque-là rien de mieux. » (Charles Baudelaire, « Le public moderne et la photographie », Études photographiques, n° 6, mai 1999, http://etudesphotographiques.revues.org/185).


[17]« Album », Trésor informatisé de la Langue Française, en ligne : http://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/tlfiv5/advanced.exe?8;s=2690607000.


[18] Voir « Les écrivains collectionneurs d’images photographiques », dans Anne Reverseau, Le Sens de la vue. Le Regard photographique dans la poésie moderne française, Paris, PUPS, « Lettres françaises », 2017.


[19] Voir l’article important de Geoffrey Batchen, « Vernacular photographies », History of Photography, 24/3, 2000, p. 262-271.


[20] Paul Valéry, « Discours du centenaire de la photographie », Études photographiques, n° 10, novembre 2001, http://etudesphotographiques.revues.org/265.


[21] Sylvie (Louise) Merzeau, Du scripturaire à l’indiciel. Texte, Photographie, Document, thèse de doctorat en sciences de l’information et de la communication, Université Paris X-Nanterre, 1992, https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00490006, et Sontag, De la photographie, op. cit.


[22] « Album », Oxford Companion to the Photograph, Robin Lenman (dir.), Oxford, Oxford University Press, 2005, p. 21-22.


[23] Voir aussi plus récemment, Cinq étranges albums de famille (Alessandra Sanguinetti, Emmet Gowin, Erik Kessels, Ralph Eugene Meatyard & Sadie Bennin), Le Bal, Paris, du 14 janvier au 17 avril 2011, ainsi que les travaux de Vincen Beeckman, à Bruxelles, ou d’Anne Delrez, à Metz (http://www.cetaitoucetaitquand.fr/).


[24] Philippe Ortel, La Littérature à l’ère de la photographie, Enquête sur une révolution invisible, Nîmes, Jacqueline Chambon, « Rayon photo », 2002.


[25] Sur ce sujet, on ne peut que renvoyer à Roland Barthes, La Chambre claire. Note sur la photographie, Paris, Cahiers du cinéma/Gallimard/Seuil, 1980.


[26] Voir, au sujet de l’inscription d’un medium dans un autre, les travaux de Bernard Vouilloux, par exemple « La peinture dans l’écriture. Esquisse d’une typologie », Balzac & la peinture, catalogue de l’exposition du Musée des Beaux-Arts de Tours (29 mai-30 août 1999), Tours, Musée des Beaux-Arts de Tours/Farrago, 1999, p. 133-151.


[27] Vladimir Nabokov, Autres rivages [Conclusive Evidence], Paris, Gallimard, « Folio », [1961] 1991.


[28] Comme l’a montré en détail mon étude pour Lectures de Mac Orlan, « “Sur l’écran de ma mémoire” et autres métaphores de l’image mentale : Mac Orlan et le lyrisme technique », Lectures de Pierre Mac Orlan, n° 4 « Les mots en –graphe », Zacharie Signoles (dir.), Saint-Cyr-sur-Morin, Société des Lecteurs de Pierre Mac Orlan, 2016, p. 129-144.


[29] Mac Orlan, « Jeux de lumière », Le Nu international, Paris, Braun et Cie, 1954, n.p.


[30] Mac Orlan, « Entre deux portes », Ésope, 1er janvier 1960, repris dans Domaine de l’ombre, images du fantastique social, Francis Lacassin (dir.), Paris, Phébus, 2000, p. 119.


[31] « Changement à vue » précède « Spectacle à la lanterne magique », Les Poètes, Paris, Gallimard, 1960, p. 70. Le poème déroule « des pans d’Italie », « des pans de pluie », « des pans de siècle » et décors d’Italie démontés par des machinistes, et se termine sur « Ici commence le spectacle à la lanterne magique ». Plus loin dans le recueil, on lit que le montreur fait « défiler » (p. 91) les images et présentent des « plaques éperdument essayées » (p. 102).


[32] Ortel, op. cit., p. 41 et sq. La notion de « paradigme indiciaire » appartient notamment à Carlo Ginzburg. Voir par exemple « Signes, traces, pistes. Racines d’un paradigme de l’indice », Le Débat, 1980/6, n° 6, p. 3-44.


[33] Philippe Ortel, « L’envers du cinéma dans la poésie de Pierre Reverdy », Poésie et médias, XXe-XXIsiècle, Céline Pardo, Anne Reverseau, Nadja Cohen et Anneliese Depoux (dir.), Paris, Nouveau Monde Éditions, 2012, p. 27-52.


[34] Reverdy, « Paris prévu », La Guitare endormie, Œuvres complètes, t. 1, Paris, Flammarion, « Mille et une pages », 2010, p. 281.


[35] Céline Arnauld et Paul Dermée, Œuvres complètes, t. 1 (Céline Arnauld), Victor Martin-Schmets (éd.), Paris, Garnier, 2013.


[36] Ibid., p. 112.


[37] Ibid., p. 149 et p. 170, par exemple.


[38] « Avertissement aux lecteurs », L’Apaisement de l’éclipse, ibid., p. 177.


[39] Ibidem.


[40] « Diorama », ibid., p. 180.


[41] Ibidem.


[42] Laurent Jenny, La Fin de l’intériorité. Théorie de l’expression et invention esthétique dans les avant‑gardes françaises (1885-1935), Paris, PUF, « Perspectives littéraires », 2002.


[43] Pierre Albert-Birot, Poèmes à l’autre moi, précédé de La Joie des sept couleurs, et suivi de Ma morte, et de La Panthère noire, Paris, Gallimard, « Poésie », 2004, p. 53.


[44] Ibid., p. 61.


[45] Valery Larbaud, 200 chambres, 200 salles de bains, La Haye, Le Bon Plaisir/Jean Gondrexon, 1927, p. 35.


[46] Au sujet de la métaphore de l’album dans le recueil Poëmes, voir mon article détaillé, « L’imaginaire photographique dans les Poëmes de Léon-Paul Fargue », Ludions, n° 12, Presses de Paris-Ouest, octobre 2011, p. 46-67.


[47] Poëmes, op. cit., p. 69.


[48] Ibid., p. 68.


[49] Ibid., p. 67.


[50] Ibid., p. 59.


[51] Ibid., p. 73. Les deux points sont dans le texte de Fargue : c’est une marque stylistique personnelle.


[52] Léon-Paul Fargue, Un désordre familier, Saint‑Clément, Fata Morgana, [1929] 2003, p. 30. Cet ouvrage regroupe une forme réécrite des entretiens accordés à Frédéric Lefèvre pour Les Nouvelles littéraires en 1929.


[53] Voir mon analyse de ce poème : « La photographie, face à main de la poésie. Quand Brassaï illustre “Pigeondre”, poème en prose de Léon-Paul Fargue », Textimage, n° 8, « Poésie et image à la croisée des supports », hiver 2017, s. dir. Helene Campaignolle-Catel & Marianne Simon-Oikawa: https://www.revue-textimage.com/13_poesie_image/reverseau3.html.


[54] Jérôme Thélot, Les Inventions littéraires de la photographie, Paris, PUF, « Perspectives littéraires », 2003, p. 3. « L’allégorie de la mémoire en chambre noire et des souvenirs en instantanés [est un] lieu commun de la fin du XIXe siècle », ibid., p. 193.


[55] Voir l’article que j’ai rédigé avec Nadja Cohen à ce sujet : « Photographie ou cinéma ? Le brouillage des modèles dans les inventions génériques de la poésie moderniste », Création, intermédialité, dispositif, Actes du colloque de Toulouse (12-14 février 2014), Philippe Ortel (dir.), Fabula, 2017. [En ligne : http://www.fabula.org/colloques/document4430.php].


[56] Voir, pour compléter ce type d’analyse, l’étude de Christophe Wall-Romana, Cinepoetry : Imaginary Cinemas in French Poetry, Fordham, Fordham University Press, « Verbal Arts : Studies in Poetics », 2013, en particulier, sur Raymond Roussel, « The Pen-Camera », p. 79-96.


[57] Voir notamment les articles de Maria Tortajada (p. 47 et sq), de Kim Timby sur le portrait animé (p. 117 et sq) et de Michel Frizot sur l’ « imaginaire cinéma de la photo 1928-1930 » (p. 203 et sq), dans Fixe/animé, op. cit.


[58] Voir par exemple comme les images du Far West servent de point de départ à l’imagination dans « Albums », Jules Laforgue, Des fleurs de bonne volonté, Œuvres complètes, t. 2, Lausanne, L’Âge d’homme, 1995, p. 186-187.


[59] Véronique Campan, « Projection : métaphore, figure, dispositif », Cinéma, littérature : projection, op. cit., p. 37 et sq, et son livre La Projection, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014.


[60] Marie Martin, « L’écriture et la projection. Louis-René des Forêts, Pierre Alferi, Christine Montalbetti », ibid., p. 117 et sq. « une telle récurrence de la métaphore projective n’est pas anodine » (p. 122).


[61] Ibid., p. 7-8.


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