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ORTEL, Philippe, « Le physionotrace à l’ombre des Lumières »
Résumé : Le physionotrace inventé par Chrétien en 1785 pour mécaniser le portrait doitil être étudié comme « l’ancêtre » de la photographie ou restitué à partir de son contexte politique et discursif d’apparition ? L’article expérimente les deux approches en rassemblant les rares témoignages directs le concernant et en élargissant l’enquête au discours philosophique des Lumières et de leurs successeurs.
mots-clés : physionotrace, physiognomonie, miniature, estampe, dispositif, ressemblance, portrait
Pour citer cet article :
ORTEL, Philippe, « Le physionotrace à l’ombre des Lumières », communication présentée lors de la journée d’étude « Phlit, nouveaux développements », 22-23 mars 2012, Université Rennes 2, labo Cellam, publié sur Phlit le 10/07/2012.
url: http://phlit.org/press/?p=1240
Le physionotrace à l’ombre des Lumières
Une façon pour les études littéraires d’apporter leur contribution à l’étude des images qui ont marqué leur époque consiste à restituer l’environnement discursif dans lequel elles sont nées, et à travers ces discours, à retrouver les systèmes de valeurs auxquels ces images doivent leur condamnation ou au contraire leur légitimité. Outre son intérêt intrinsèque, une telle démarche peut s’avérer féconde quand on ne dispose que de peu de documents, comme c’est le cas s’agissant du physionotrace. Inventé par Gilles-Louis Chrétien en 1785[1], ce grand châssis (1,75 m sur 65 cm) à l’aide duquel on décalquait le profil des clients, placés derrière, s’insère dans la liste des procédés techniques mis au point dans la seconde moitié du XVIIIe siècle pour mécaniser le dessin, à l’instar de la pratique car peu encombrante chambre claire à partir de 1807. Une contextualisation large comme celle qu’on tentera ici permet de faire parler des images que la rareté des témoignages réduit à un certain mutisme, s’agissant notamment de leur réception et de leur usage ; peu de textes autour du schéma de l’appareil déposé par Chrétien au Conservatoire des Arts et Métiers[2] ou des portraits eux-mêmes, auxquels on donne aussi le nom de physionotraces[3].
Une telle démarche peut aussi s’avérer éclairante s’agissant d’un appareil qui a toujours été perçu comme un « ancêtre » du daguerréotype et du calotype et qui a, de ce fait, été peu étudié pour lui-même. La perception que nous en avons n’a guère changé depuis l’époque où Henri Bouchot, conservateur en chef du Cabinet des Estampes (1898-1906), voyait dans les profils de Marie-Antoinette, de Robespierre et de leurs contemporains « la photographie de la Révolution et de l’Empire[4] ». Comme pour toutes les inventions, deux types d’approches s’opposent à cet égard : une conception linéaire de l’histoire des techniques qui établit, naïvement parfois, une filiation généalogique entre deux innovations séparées dans le temps, et une conception plus foucaldienne, défendue par exemple aujourd’hui par les spécialistes du cinéma à ses débuts, consistant à mettre l’accent sur les ruptures historiques en procédant à l’archéologie de ces techniques, y compris quand peu d’années les séparent comme c’est le cas pour la chronophotographie (1882 en France) et le cinématographe (1895)[5]. On peut ainsi supposer que le physionotrace, né quatre ans avant la Révolution, porte davantage l’empreinte de la philosophie des Lumières[6] que le daguerréotype, et plus encore le calotype, même si Niépce partage les idéaux de la Révolution française qu’il a servie dans les campagnes militaires de 1792. Toutefois, aussi féconde cette approche soit-elle on n’abandonnera pas complètement la première dans la mesure où elle met en évidence des continuités historiques qu’une conception plus cloisonnée des choses risquerait de faire disparaître. C’est pourquoi on reviendra pour commencer sur la conception généalogique des liens entre physionotrace et photographie.
Le physionotrace avant la photographie
Comme dans la machine à silhouetter mise au point par Lavater qui en donne le schéma dans son fameux Essai sur la physiognomonie[7] (1775-1778), le client entrant chez Chrétien se voit donc placé derrière un grand châssis sur lequel est par ailleurs accroché un bras articulé, pantographe vertical supportant les éléments utiles au décalque du visage. Sur cet appareil mobile un œilleton appelé « visier », actionné verticalement par le dessinateur, permet de suivre les lignes du profil, parfois les traits d’une tête saisie de trois-quarts, tandis qu’un crayon, fixé sur la même règle que le visier, en reproduit les mouvements sur une feuille accrochée elle aussi verticalement. Contrairement à la machine à silhouetter, où l’on décalque l’ombre du client projetée sur une toile par la lumière d’une bougie, le visier auquel on accole l’œil permet de décalquer directement les traits de celui-ci ; un écran disparaît, ce qui offre un rapport plus direct et plus riche en informations au modèle. Selon René Hennequin, l’historien du dispositif, le fait qu’on possède des portraits de trois-quarts est la preuve qu’aucune projection n’entre en ligne de compte puisque l’ombre d’un visage positionné de cette façon reste opaque[8]. Réalisé en quelques minutes, le décalque au physionotrace produit une esquisse grandeur nature qu’il convient ensuite de réduire, soit avec le pantographe vertical, soit avec un second pantographe (Hennequin ne tranche pas), puis de compléter à la main pour y ajouter ombres légères et détails, avant de donner le portrait à graver. Une lettre envoyée à la presse par Quenedey, l’associé de Chrétien devenu son concurrent par la suite, indique qu’il livrait parfois à son client l’esquisse grandeur nature seule, le plus souvent une douzaine d’épreuves réduites et gravées pour un prix plus élevé, enfin, moyennant un nouveau supplément, la planche elle-même dont on pouvait tirer jusqu’à 2000 épreuves. On pouvait aussi demander que le portrait soit colorié pour plus de réalisme[9].
Autant l’ouvrage de R. Hennequin est extrêmement précieux par toutes les informations qu’il donne sur l’invention, autant le parallèle avec la photographie mérite d’être approfondi. L’histoire linéaire des techniques se justifie en effet à partir du moment où les mêmes fonctionnalités, les mêmes usages et les mêmes valeurs passent d’une invention à l’autre. Émergent alors un certain nombre de déterminismes justifiant le lien naïvement généalogique qu’on établit spontanément entre elles, soit ce que les médiologues appellent des « lignées techniques » entraînant ce qu’ils nomment aussi, à la suite de Pierre Lévy, des « cliquets d’irréversibilités[10] », certaines inventions interdisant en effet qu’on revienne en arrière. Les déterminismes qui nous intéressent ici introduisent ainsi dans l’histoire culturelle un espace de création, de réception et de pratique de l’image spécifique et durable : naît avec le physionotrace et les dispositifs s’en rapprochant la longue aventure des industries visuelles, même si leur émergence est encore très artisanale.
Les histoires de la photographie repèrent avec d’autres mots trois déterminismes sur lesquels on reviendra rapidement, à commencer par un déterminisme d’ordre temporel visant, en automatisant de plus en plus les procédures d’une invention à l’autre, à satisfaire la demande d’images de la bourgeoisie désormais au pouvoir. Cette automatisation[11] consiste ici à décalquer le profil au lieu de le figurer et, en réduisant ainsi le délai entre la conception et la réalisation du dessin, à produire plus pour moins cher. Même si l’automatisme est encore partiel puisqu’il faut compléter ensuite l’esquisse obtenue, il annonce bien l’époque où la chimie photographique se substituera complètement à la main. La retouche manuelle sur les calotypes (photographie papier) ne fera en effet plus figure de complément indispensable comme c’est le cas ici mais de simple correctif. Certes l’automatisation est déjà présente dans la machine à silhouetter de Lavater, puisqu’on y décalque des formes obtenues par projection lumineuse, ou encore dans le masque mortuaire à la façon de celui de Pascal, par le biais du moulage, mais dans le cas du physionotrace elle intervient dans le champ des Beaux-Arts lui-même, et pas seulement dans celui de pratiques mondaines ou privées : en s’invitant au Salon de 1793, puis à chaque salon jusqu’en 1808, les productions de Chrétien entrent dans l’espace des peintres ; même chose pour les portraits de Quenedey en 1812[12].
Le travail de figuration s’automatise non seulement parce qu’on décalque au lieu de dessiner à main levée, mais aussi parce que le visier à l’aide duquel l’opérateur suit les traits du modèle s’interpose entre la main qui le manipule et le crayon relié à distance sur la même règle. Comme en photographie une médiation optique sépare l’artiste de l’épreuve ; en décalquant le profil sans tenir le crayon, le dessinateur substitue à l’acte de tracer un geste de contrôle semblable à celui qu’appelleront la chambre noire et le laboratoire de développement. Avec le calque, le dessin obéit par ailleurs, comme la photographie, à une logique de l’empreinte, même si l’on a affaire à une fonction-empreinte et non à une empreinte véritable. A partir du moment où les traits du visage sont décalqués, c’est l’objet qui impose ses formes au dessin et non le dessin qui se réfère à l’objet : la fascination que suscite cette opération, notamment chez les enfants, tient sans doute à la prépondérance que prennent brutalement les choses sur leur volonté, avant que la figuration, en inversant le rapport de forces, ne leur donne le sentiment de maîtriser à leur tour l’objet qui les a dominés. Les profils finement délinéés de Chrétien et de Quenedey donnent au spectateur l’impression que le vecteur entre le signe et son référent s’est retourné, ce dernier s’invitant dans l’image au lieu d’en être la visée, comme c’est le cas lorsque la distance avec le modèle est plus grande. Par ailleurs, non seulement le visage esquissé impose son étendue et son dessin à la page, mais la netteté du rendu suppose aussi une parfaite simultanéité entre la pose et son décalque, d’où la présence d’appuie-têtes pour assurer une parfaite immobilité au client, comme dans les futurs ateliers de photographes. Avec le calque s’instaure ainsi la double contiguïté spatiale et temporelle propre à l’empreinte en général et au dispositif photographique en particulier. Comme l’écrit Quenedey lui-même : « Deux minutes tout au plus que j’emploie pour dessiner la figure, ne sont pas un espace assez long pour que le modèle change de physionomie : delà vient la grande vérité que l’on remarque dans tous les portraits au physionotrace, et qui étonne les plus habiles artistes[13] ». L’absence d’écart entre l’esquisse et le modèle est d’autant plus sensible que l’opérateur n’a pas le choix de la pose (presque tout le monde est de profil) et ne peut opter, quant à l’expression, qu’entre deux options : le sourire ou le sérieux. Si les débuts de la photographie imposent les mêmes contraintes en raison de l’insensibilité des plaques, la longue conquête de l’instantanéité, en ouvrant l’image à la diversité des postures et des expressions, substituera à la logique du calque l’espace et la possibilité d’une mise en scène.
On pourrait objecter qu’un tel automatisme n’a rien en soi de très nouveau, puisqu’il est déjà à l’œuvre quand un pantographe réduit un dessin ou quand on tire une épreuve gravée, la pression exercée sur la feuille, après encrage de la matrice, étant aussi une opération mécanique. En réalité, en mécanisant l’esquisse elle-même, première étape du processus, le physionotrace pousse les choses beaucoup plus loin puisqu’il s’attaque au moment dévolu à la conception de l’œuvre, soit sa genèse interprétative. Comme le rappelle Pascal Griener, les traités de peinture font de l’esquisse le symptôme et la trace du « génie[14] » de l’artiste, dans la mesure où elle est l’empreinte mentale de sa réflexion et pas uniquement de l’objet à peindre ; ainsi s’explique la passion du XVIIIe siècle pour le dessin, dont le prestige permet bien de mesurer ce que l’intrusion de la machine pouvait avoir de surprenant et d’inédit dans ce domaine : avec la technique du calque, la trace n’est plus mentale mais purement physique, la « domination progressive de la matière[15] », dans laquelle Baudelaire verra plus tard le principal effet du « Progrès » moderne commençant à se faire sentir au cœur même de la figuration.
C’est d’ailleurs pourquoi les réflexions sur l’empreinte ne sont pas propres à notre époque et à son goût pour les approches sémiotiques de la culture : la différence entre le moule et le portrait peint par exemple hante les débats des siècles classiques, trouvant sa formulation la plus aboutie chez Quatremère de Quincy, l’architecte de la Révolution auquel on doit notamment la forme actuelle du Panthéon. Grand défenseur du néo-classicisme et inquiet du réalisme dont fait preuve selon lui la peinture romantique, il oppose dans son ouvrage de 1823 « le vice de la similitude identique[16] » obtenue par le « calque, le moule ou le patron[17] », mais aussi le pantographe, la loupe et la chambre noire[18], à la « ressemblance imitative » obtenue par l’artiste véritable. Le mot « image » à ses yeux ne convient d’ailleurs qu’à ce dernier type de ressemblance, fondée sur la distance avec le modèle, là où la « similitude identique » crée pour sa part une ressemblance mécanique relevant davantage de la « réalité[19] ». De tels développements ne seraient pas aussi virulents sans le succès que rencontre à la même époque la ressemblance exacte et révèlent en creux une fascination pour l’empreinte qui n’ira qu’en s’accroissant au XIXe siècle. « Ils comparent ces Portraits à ceux qui sont moulés sur nature[20] » déclare fièrement Quenedey à propos de ses œuvres, ce qui l’oblige toutefois à revendiquer une part de talent personnel, essentiel à l’achèvement du dessin : « J’avoue avec vous qu’étant Artiste, je me sers de cette machine avec beaucoup plus d’avantages, que quelqu’un qui ne le serait pas[21] ».
La logique de l’empreinte concerne non seulement chaque point de l’image, mais aussi la relation de ses différents segments entre eux : tant qu’un dessin, même inspiré par les contours du modèle, relève de choix manuels et cognitifs, l’artiste, tout en étant fidèle à ce qu’il représente, peut jouer sur les rapports s’instaurant entre les différentes parties du visage pour en accentuer par exemple l’harmonie ou la disharmonie. Roger de Piles indique ainsi que sans « l’accord des parties[22] » on manque le caractère d’une personne parce qu’on n’en dégage pas « le véritable air[23] ». Par ce jeu différentiel, les segments de la figure fonctionnent comme des signes discrets au sein d’un système : ils tirent leur valeur et leur expressivité de leurs différences. Dans le cas du décalque en revanche, la segmentation du dessin est entièrement imposée de l’extérieur, puisqu’elle résulte de sa conformité à la morphologie globale du visage représenté : contre les peintres qui perdent une partie des traits en interprétant, l’article de la Bibliothèque physico-économique félicite ainsi le physionotrace d’opérer « cette réunion, cette totalité de traits ressemblants qui caractérisent la vraie physionomie[24] ». La relation duelle propre à l’empreinte, fondée sur le rapport de la cause à l’effet, concerne aussi bien l’organisation totale du visage que chacune de ses parties ; elle l’emporte à chaque instant sur la relation triangulaire crayon-interprétation-modèle propre au dessin interprété.
Enfin, c’est la temporalité même des opérations qui se mécanise avec le physionotrace. Au temps organique de la création, dans laquelle la conception du portrait s’enchevêtre à son exécution, succède le temps linéaire d’un processus divisé en moments successifs et complémentaires. La totalité du portrait est obtenue par l’addition des opérations qu’on vient de décrire, et non préconçue par une vision d’ensemble initiale capable d’assurer la priorité au tout sur chacune des parties. Le rythme binaire de la prise d’empreinte et du développement par l’ajout d’ombres et de détails illustre à lui seul, par son caractère purement additionnel, la mécanisation de la mise en œuvre, et annonce, selon une logique fonctionnelle identique, le binôme prise de vue-développement du daguerréotype et du calotype. Entre ces deux temps pas d’image latente à proprement parlé, mais une image en attente de développement, dont l’incomplétude, comme en photographie, ne tient pas au choix de l’artiste mais à une nécessité purement matérielle : la division du travail artistique en étapes dissociées.
Ressemblance et reproductibilité
Le second déterminisme permettant de lier physionotrace et photographie est celui de la ressemblance dont les industries de l’image font aujourd’hui encore un enjeu central de leurs recherches. C’est sur elle que se porte l’admiration du public :
On a beaucoup pressé Monsieur Quenedey, à qui l’usage de cette machine est confié, de s’établir à Paris, et je ne doute pas que le Physionotrace y étant connu, ne satisfasse parfaitement les personnes jalouses de posséder des portraits absolument fidèles jusque dans les plus petits détails, et qui rendent avec la précision la plus rigoureuse, l’esprit même de chaque physionomie, et jusqu’aux nuances des caractères[25].
Ce déterminisme répond à l’évolution politique de la société : l’égalité devant la loi proclamée par la Déclaration des droits de l’homme (1789) et dont nous sommes les héritiers donne à l’individu une valeur absolue que reflète le goût des contemporains pour l’exactitude dans la reproduction de leurs traits[26]. Le même rapport dialectique entre l’universel et le particulier fonde d’ailleurs les principes de 1789 et le fonctionnement du physionotrace puisque c’est à partir de procédures communes à tous les clients, donc universelles, que la machine valorise la singularité de chacun ; impersonnelle dans son essence et itérative dans son application comme la loi, la technique sert comme elle chaque particulier. La même dialectique régit par ailleurs la physiognomonie de Lavater puisque chaque élément particulier du visage s’y voit relié à un trait de caractère de nature là aussi universelle[27]. Un tel isomorphisme avec l’organisation politique du nouveau régime d’une part, la nouvelle conception du visage et de l’homme d’autre part, aurait pu enfermer l’appareil de Chrétien dans son époque comme d’autres valeurs sur lesquelles on reviendra, mais l’idéal républicain et la curieuse science du sujet que constitue la physiognomonie sont encore d’actualité aujourd’hui, même si la Constitution n’est plus la même et même si les délires mystiques de Lavater ont fait place aux rigoureuses observations d’une psychologie plus scientifique.
L’accent mis sur la ressemblance individuelle modifie aussi en profondeur la relation à l’autre que favorisait jusque-là le portrait. Il ne s’agit plus, à travers lui, de prolonger cette conversation[28] dont l’art et le raffinement distinguent l’aristocrate et l’homme de cour mais de donner autrui à déchiffrer par le biais de son image et, à travers la singularité de ses traits, de rendre sensibles les lois universelles, voire divines (Lavater), dont le visage porte la marque. Ce dernier n’est plus seulement un médium mais la surface passive d’indices à déchiffrer. Une lettre de Madame Roland, épouse du ministre girondin, envoyée à Lavater en 1788 montre bien la façon dont cette époque pré-scientifique transforme en documents au sens actuel du terme (il n’est encore que juridique au XVIIIe siècle) les moyens de communication que sont l’écriture ou le visage : elle se flatte de « correspondre avec un sage dont les écrits doivent porter, comme ses discours et ses actions, la belle empreinte de la vertu et le touchant caractère de la sensibilité[29] ». Au lieu de se poser uniquement en interlocutrice du discours qu’on lui adresse, elle en devient l’observatrice ; au lieu d’y chercher des arguments elle y recueille des symptômes ; au lieu d’être seulement sensible à leur rhétorique elle en fait une lecture indicielle. La ressemblance exacte offerte par le physionotrace s’inscrit dans un mouvement plus général consistant, au siècle de la science moderne naissante, à faire de tout, y compris des médias, un tableau pour l’étude. La pose de profil s’y prête d’autant mieux qu’en empêchant le sujet peint de croiser le regard du public, elle abandonne son visage à la curiosité, pour ne pas dire au voyeurisme moral des gens. L’interprétation quant à elle n’est pas chassée du dessin mais au lieu d’être à la charge de son auteur elle s’externalise et devient l’apanage du spectateur.
Enfin, en ayant recours à la gravure, le physionotrace obéit à un déterminisme médiatique auquel la photographie sur papier devra aussi son succès, et dont la raison n’est pas seulement sociologique (épanouissement de la bourgeoisie) mais aussi politique : la création d’une opinion publique par la liberté d’expression et le suffrage universel suppose que l’élu du peuple influence aussi les électeurs par son image. Les députés se font ainsi presque tous faire leur portrait, soit au physionotrace, soit par d’autres procédés, et voient par ailleurs leur visage popularisé par l’édition de séries d’estampes comme celles des éditeurs Déjabin et Levachez[30]. De manière plus générale, le physionotrace s’inscrit dans un mouvement de massification des portraits auquel participe à la même époque la miniature sur ivoire, dans laquelle s’illustre par exemple Isabey, sur émail[31], papier ou autres supports, et dont la profusion au Salon de peinture, en partie explicable pour des raisons économiques (privés de mécènes les artistes vivent d’œuvres à bon marché[32]), excite la verve des satiristes :
Voilà des médaillons bien dorés, bien polis,
Ne les oublions pas quoiqu’ils soient bien petits.
Le nombre en est immense ! il faut vite en rabattre,
Et, de ces médaillons n’en admettre que quatre[33].
Très proche de la miniature par le format (il ne fait parfois que 5 à 7 cm de diamètre), le mode de présentation (ce sont les mêmes cadres ronds ou rectangulaires[34]), la quête d’une ressemblance exacte et même la couleur pour le client qui la demande le physionotrace est finalement à cette image unique ce que le calotype, photographie reproductible sur papier, sera au daguerréotype, miniature d’un nouveau genre, unique et aussi polie que celles du XVIIIe siècle. En faisant de l’image miniaturisée un média moderne, autrement dit une épreuve échangeable par les vertus de la reproductibilité, le physionotrace accroît la circulation des portraits. Indépendamment de la question du format une étude plus historique pourrait ainsi tenter d’en suivre la trace à travers les correspondances privées : Madame Roland en promet un de son mari à Lavater en échange du portrait qu’il lui a envoyé[35]; Stendhal envoie le sien à son ami Félix Faure en 1807[36] … De tels usages annoncent le « portrait carte-de-visite » créé par le photographe Disdéri en 1854, d’autant que l’atelier de Chrétien, assez célèbre pour être indiqué par certains guides de Paris[37], préfigure par le nombre impressionnant d’images réalisées[38] les grands ateliers photographiques du siècle suivant comme ceux de Disdéri, Le Gray, ou Nadar.
Le propre d’un dispositif de communication est de réguler par la technique les relations pragmatiques d’un groupe social (c’est-à-dire entre sujets) tout en véhiculant du symbolique au sens actuel de valeurs, que celles-ci soient sémantiques, axiologiques ou politiques (pas de légitimité sans elles[39]). Les trois déterminismes qu’on vient de définir s’inscrivent dans chacune de ces composantes : le déterminisme temporel concerne la dimension technique ; le déterminisme médiatique, qui, de la gravure traditionnelle à la photographie en passant par la lithographie pousse à toujours plus de reproductibilité est d’ordre pragmatique puisque la multiplication des épreuves détermine la manière dont on communique ; le déterminisme de la ressemblance, en tant qu’il valorise l’individu et, en dévoilant son caractère, permet de le juger, est d’ordre symbolique. La rapidité d’exécution, l’exactitude mimétique et la reproductibilité dessinent ainsi une matrice opérationnelle donnant bel et bien son sens à l’enchaînement historique des inventions futures ; différentes dans leurs procédures, toutes se ressemblent par la nouveauté de certaines fonctionnalités, par les usages qu’elles autorisent ainsi que par les discours latents qu’elles cristallisent.
Des images philosophiques ?
En quoi les premiers physionotraces restent-ils néanmoins dépendants de leur époque et, à ce titre, très différents de la photographie ? En d’autres termes, en quoi l’épistémè dont ils procèdent oblige-t-elle l’historien des techniques à modaliser les continuités qu’il instaure spontanément entre les inventions d’une même classe ?
Constatons d’abord que contrairement à la photographie le physionotrace n’entraîne pas cette crise de la représentation qu’on constate dans les années 1850, comme s’il s’insérait suffisamment dans les principes et valeurs de son temps pour éviter de choquer. Là où la photographie attendra vingt ans pour entrer au Salon de peinture (1859), il y est accueilli dès 1793. On peut certes faire remarquer qu’à partir de 1791 les Salons étaient de toute façon ouverts à tous les artistes[40], et rappeler que le physionotrace, parce qu’il ne reproduit que les visages et non la totalité des objets du monde, ne concurrence ni le paysagiste, ni le peintre de natures mortes comme le fera la photographie. Néanmoins, si l’époque est moins discriminante que le siècle suivant, il existe aussi des raisons positives au bon accueil qu’il reçoit : à partir du moment où l’art se politise, il n’est pas absurde de penser que les valeurs attachées à cet appareil et à ses productions correspondent aux exigences de l’époque. Reste à savoir de quelles valeurs il pourrait s’agir exactement.
Il suffit de regarder n’importe quelle gravure allégorique pour retrouver le diagramme des principes et des valeurs à partir duquel la Révolution juge les personnes et les événements, mais aussi les objets. Prenons pour guide une estampe comme La Révolution française, arrivée sous le règne de Louis XVI par Duplessis (1792[41]) : en haut de l’image brille un soleil (ce serait un œil rayonnant dans son triangle ailleurs) figurant les deux grands principes philosophiques dont tout le reste du système dépend : la Raison et la Nature. A propos de la Constitution de 1791, Condorcet formule très clairement la dépendance des valeurs (Liberté, Egalité, Fraternité…) à l’égard de ces deux principes fondamentaux : « Quand il fut question d’établir la liberté sur les ruines du despotisme, l’égalité sur celles de l’aristocratie, on fit très sagement de ne pas aller chercher nos droits dans les capitulaires de Charlemagne, ou dans les lois Ripuaires ; on les fonda sur les règles éternelles de la raison et de la nature[42] ». Viennent ensuite, entre le soleil et les hommes, les valeurs ailées qui les protègent, à la manière des Saints ou du Christ lui-même : c’est la Vérité et son miroir dans l’estampe de Duplessis, ce serait la Liberté et son flambeau ou l’Egalité et son niveau (l’appareil du maçon) ailleurs. Dans cet espace tripartite, directement inspiré des retables du Moyen Âge, soleil et valeurs éclairent depuis le ciel la scène où agissent les citoyens, placés en bas de l’image ou au premier plan de celle-ci quand les motifs se superposent, les trois espaces philosophique (le soleil), axiologique (les valeurs personnifiées) et historique (les hommes) s’étageant alors dans le sens de la profondeur. Ce diagramme, on l’aura deviné, n’est que la traduction simplifiée et systématisée des idées défendues par la génération des philosophes, presque tous morts à cette date. Par sa systématicité même, il offre un outil simple d’analyse pour décrire le filtre idéologique à travers lequel les choses sont alors perçues, notamment les portraits de Chrétien et de Quenedey selon l’hypothèse proposée ici. On pourrait objecter que le physionotrace, avec ses coiffes et ses costumes, participe d’une mondanité qu’une lecture trop philosophique des images pourrait faire manquer, mais on sait que dans les périodes d’effervescence la mode elle-même se met au service de la politique, de sorte que les domaines sont inévitablement intriqués. Du moins est-ce le cas jusqu’au Directoire (1795-1799) où la fin de la Terreur, sans faire cesser la politique, donne la priorité à une mondanité de plus en plus superficielle.
La Raison et la Nature
Le physionotrace nous paraît d’abord porter l’empreinte de cette Raison à laquelle la Révolution consacre des fêtes et voue un véritable culte. La rationalité à l’œuvre dans l’image se lit d’abord dans le primat que le dispositif donne aux formes du modèle. Là où la lumière, en photographie, met l’épreuve au contact de la peau, le physionotrace souligne l’architecture d’un visage que Lavater, avec ses multiples schémas explicatifs, a lui aussi contribué à rationaliser. Certes, le lavatérisme recentre l’attention des contemporains sur le physique de la personne et fait, par cet éloge du corps, la transition avec le XIXe siècle où les objets envahissent tout (ainsi dans le roman balzacien), mais les visages offerts par Chrétien et Quenedey ou encore Gonord et Bouchardy, moins connus, ne s’apparentent pas pour autant à l’opération taxidermique qu’on accusera par la suite la photographie d’opérer. C’est d’ailleurs son absence de chair qu’on lui reprochera, là où l’on accusera inversement la photo d’exposer le caractère putrescible des corps : le portrait ne sera plus alors qu’un « embaumement de la ressemblance[43] » pour reprendre une expression des Goncourt, écœurés à la vue des « chairs » et des « yeux morts[44] » ainsi étalés à leur vue. Le physionotrace s’éloigne aussi du corps physiologique de la caricature populaire, même si, comme l’a montré Antoine De Baeque[45], les caricaturistes n’auront plus pour faire rire qu’à déformer les profils obtenus par la machine. A mi-chemin entre le monde abstrait des allégories d’une part, les personnages difformes et violemment coloriés de l’imagerie populaire d’autre part, la nouvelle estampe présente un corps rationnel parce qu’organisé et, par la légère raideur émanant de modèles condamnés à l’immobilité, domestiqué.
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L’extraction des formes opérée par Chrétien résulte d’une série de réductions qu’il vaut la peine d’énumérer : celle du visage à son profil bien sûr, qui suffit à en faire ressortir les grandes lignes, mais aussi celle du profil à sa pure surface par l’usage d’un dessin dit géométral ou orthographique, consistant à annuler la perspective et avec elle la déformation des lignes résultant inévitablement des effets de profondeur. Le visier et le crayon qu’il entraîne étant fixés à l’exacte perpendiculaire du visage, les lignes décalquées se coupent à angle droit au lieu de s’incurver. Privé de volume, ce même visage n’en affiche que mieux ses traits, à l’instar des dessins de façades, des cartes (le plan d’une ville est dit géométral) et des bâtiments vus en coupe, où tous les plans sont ramenés, par transparence, au même niveau[46]. Une telle promotion du plan et de la ligne explique l’effet de géométrisation émanant de ces portraits et apparente le physionotrace à la longue liste des instruments chargés d’arracher ses secrets à la Nature par aplanissement et simplification géométrique des phénomènes, comme le cadran solaire où le temps, rabattu sur l’espace, est pris dans l’éventail régulier des lignes horaires, la chambre noire où le paysage, projeté sur l’écran dépoli, livre ses grandes lignes au regard du peintre, sans parler du prisme de Newton où le même type de projection révèle le spectre coloré de la lumière sous une forme régulièrement étagée.
A travers toutes ces expériences le plan est plus qu’un instrument technique : il est l’opérateur mental (l’interprétant dirait Peirce) à l’aide duquel l’objet est saisi, représenté et analysé ; c’est pourquoi on pourrait parler d’écriture planographique à propos de tous ces appareils, en élargissant le sens initial du mot puisqu’il désigne en imprimerie une impression à plat et en lithographie une image obtenue sans creusement (sans burin). D’essence planographique, le physionotrace promeut une approche mathématique de la ressemblance, là où le rayonnement lumineux engage en photographie une relation plus tactile et partant plus sensuelle au corps enregistré. Faut-il voir par ailleurs dans l’œilleton du « visier » et dans l’œil unique que présente le profil du client un écho à ce fameux œil de la Raison triomphant au milieu de son triangle dans toute l’imagerie de l’époque ? Force est de constater en tout cas que le physionotrace, en ne montrant qu’un œil sur deux, met bien en valeur cet organe dont Lavater fait pour sa part le foyer rayonnant de la face humaine en le considérant comme le « sommaire de tout[47] ».
La Nature, principe à la fois physique et philosophique puisque les Lumières y voient le lieu où les valeurs se régénèrent (ainsi du droit et de la religion dits « naturels »), s’exprime quant à elle à travers les traits de la face, puisqu’ils relèvent de la morphologie du visage par opposition aux expressions qui résultent ou d’émotions circonstancielles dictées par les événements, ou au contraire d’une savante composition, comme chez les roués ou les acteurs. De même que l’effet de rationalité émane de réductions successives, la naturalité de ces portraits résulte, comme l’ont montré Antoine de Baeque[48] et Patrick Désile[49], du dévoilement que produit la mécanisation des procédures. Le premier voile levé est la subjectivité du dessinateur, que l’appareil annule par les contraintes qu’il lui impose. La Bibliothèque physico-économique condamne ainsi la « manière » du peintre en des termes qui vont complètement à contre-courant de ce que défendent normalement les traités de peinture : « […] cette manière communique au portrait un caractère particulier, qui, dominant plus ou moins dans l’ouvrage, donne souvent lieu d’y reconnaître plus aisément l’Artiste que le modèle[50] » peut-on lire. Cette position est si contraire aux discours reçus que la rédaction du journal se sent obligée de tempérer l’enthousiasme du chroniqueur en rappelant en fin d’article que le physionotrace n’atteindra jamais la qualité « d’un beau portrait colorié[51] ». Le second voile que la machine lève est le masque que la vie sociale pose immanquablement sur le visage : « Etat, condition, habitudes, possessions, vêtements, tout concourt à le modifier, à le voiler[52] » écrit Lavater à son propos pour justifier l’entreprise physiognomonique. On l’a vu plus haut, l’immobilité du modèle et le travail de décalque substituent à l’interaction psychologique entre client et dessinateur, avec toutes les stratégies qu’elle entraîne inévitablement, une interaction purement mécanique : nul besoin pour Quenedey par exemple de s’adapter à l’humeur de son visiteur, comme Diderot aurait aimé que Van Loo le fît s’agissant de son propre portrait en le laissant rêver à sa guise[53]. Même si le physionotrace restitue la coiffe et une partie des vêtements, le visage arraché aux interactions sociales est ramené à sa morphologie, autrement dit à sa nature, et dégage pour cette raison même une fraicheur à laquelle on peut être encore sensible aujourd’hui. La légère naïveté émanant même de certains d’entre eux tranche sur le raffinement psychologique de plus en plus poussé marquant l’histoire du portrait au XVIIIe siècle.
Vérité et Vertu
Non seulement le physionotrace ramène le visage à son origine rationnelle et naturelle, mais il le relie aussi aux valeurs personnifiées volant dans le ciel des estampes ou dans les grands discours des orateurs de la Révolution. Alors que la photographie, en se faisant l’empreinte des corps, livre sans médiation apparente la réalité des choses, le physionotrace, en tant que « trace » d’une physionomie, en délivre par exemple la vérité, cette Vérité dont la figure personnifiée triomphe un peu partout à partir de 1789. Le mot « physionomie », qui renvoie en vertu de son étymologie (phusis : la nature) aux traits naturels de l’individu, représente souvent en cette fin de siècle le vrai visage des choses : Louis-Sébastien Mercier condamne par exemple Robespierre en parlant à son propos de « cet homme sans couleur et sans physionomie, ce nain […] qui aveuglait les gueux et les sans-culottes[54] ». La symétrie que la formule établit entre l’aveuglement des citoyens par l’Incorruptible et son absence personnelle de physionomie suggère qu’une telle absence n’est pas un manque mais un voile ; il a d’autant moins de physionomie qu’il cache sa vraie nature. D’où un véritable renversement dans le classique rapport de forces valorisant l’expression contre les traits. En tant qu’émanation de l’âme, l’expression est normalement favorisée, notamment dans les romans sentimentaux comme Les Sacrifices de l’amour de Dorat : « Ce sont quelques-uns de vos traits ; mais votre âme, où est-elle ? Où est l’expression, la vie ? […] N’importe, ce qui manque au portrait, mon cœur l’ajoute[55] » déclare le héros à propos d’une image de sa maîtresse. En revanche, quand dans ses Mémoires Madame Roland explique que ses portraits sont peu ressemblants en raison de « l’expression » que lui donne sa trop grande vivacité, celle-ci n’est plus vraiment une qualité puisqu’elle masque la physionomie, soit l’organisation stable des traits assurant à chacun son identité à travers le temps : « elle [la ressemblance] est difficile à saisir parce que j’ai plus d’âme que de figure, plus d’expression que de traits[56] » constate-t-elle à l’issue d’un texte où elle a justement fait son autoportrait en donnant l’avantage à ses traits sur ses élans expressifs. Son « menton retroussé » y signale ainsi un penchant incontestable pour la « volupté[57] ». La photographie instantanée quant à elle, par le contact immédiat qu’elle entretiendra avec le corps, captera l’expression du modèle au détriment des traits, expressions circonstancielles et contingentes tendant moins à voiler les traits en question qu’à les défigurer en les entraînant dans le désordre de configurations incongrues. C’est pourquoi Bertillon, l’inventeur du portrait anthropométrique, retrouve certaines procédures du physionotrace pour s’assurer de la ressemblance exacte du coupable : pour éviter les désordres ou le masque de l’expression, le condamné sera saisi aussi bien de profil que de face, et, comme dans nos photographies d’identité actuelles, de manière neutre, sans sourire.
En montrant le sujet dans sa vérité, le physionotrace en manifeste aussi la « vertu » dans la mesure où le client venu se faire portraiturer accepte de se dévoiler : en montrant passivement son visage aux autres, il réalise cet idéal de transparence[58] qui faisait dire par exemple à Volney, philosophe et député à la Constituante, que le vrai citoyen devrait souhaiter que « sa maison fût de verre[59] ». La vertu est une pratique à double sens qui pousse non seulement le citoyen digne de ce nom à s’ouvrir aux intérêts d’autrui, contrairement à « l’égoïsme » des aristocrates, mais aussi à s’offrir, inversement, au regard de l’autre pour se laisser déchiffrer et juger. Dans une recension de 1813 à propos d’un livre où figure le portrait de l’auteur, le critique mentionne un visage « dessiné et gravé au physionotrace, et que les lawatériens peuvent étudier à leur aise[60] ». Comme le serment civique, dont on sait l’importance sous la Révolution, le portrait s’inscrit désormais dans le long cortège des « manifestations » où chacun témoigne de sa loyauté et de son innocence. Les inscriptions portées au bas du portrait ou au verso, généralement griffonnées par des mains anonymes, illustrent la présence de telles valeurs et bien sûr le rôle joué par le texte dans la réception des images : « Digne par ses vertus des plus beaux jours de Rome[61] » peut-on lire au dos d’une gravure de Louis Charton, manufacturier d’étoffes et membre de la Commune de Paris en 1789. La logique de la manifestation, terme religieux dont le sens s’élargit à la fin du XVIIIe siècle[62], diffère de celle, photographique, de l’exposition, en ce qu’elle exprime des valeurs là où la photo, on l’a dit, donne d’abord à voir des corps et ensuite seulement les discours latents dont ceux-ci sont porteurs.
Quant au profil, il manifeste lui aussi la vertu du modèle puisque c’est la pose qu’on trouve dans les médailles antiques ainsi que dans les œuvres héroïques de David, comme Le Serment des Horaces (1784) et le dessin du Serment du jeu de paume (1791). Par delà ces divers rapprochements, un épisode des débuts de la Révolution établit un lien direct entre physionotrace et vertu : il s’agit du fameux don de bijoux qu’un certain nombre d’épouses d’artistes firent à l’Etat le 7 septembre 1789 pour participer au remboursement de la dette. Les Goncourt qui racontent l’épisode avec l’ironie qu’on leur connaît précisent que l’assemblée constituante, après avoir reçu en délégation vingt-deux de ces épouses, récompensa ce « geste vraiment romain » en demandant que Quenedey fasse leur portrait au physionotrace. Ils prêtent alors à un élu les paroles suivantes : « A présent que le physionotrace de Quenedey vous reproduit comme magie, et à si peu de frais, ne pourrait-on obtenir des douze citoyennes qui ont donné la première impulsion à la générosité publique qu’elles accordent chacune un quart d’heure à l’art qui nous transmettra leurs traits adorables[63] ? ». Quoique reconstituées, ces paroles montrent avec une certaine vraisemblance la façon dont vertu et mondanité pouvaient même à cette date cohabiter.
Fraternité
Parmi les trois valeurs cardinales promues par la Révolution, l’égalité est celle que la machine illustre le mieux puisqu’elle applique la même procédure à n’importe quel modèle, qu’il s’agisse de la Reine, du Dauphin ou d’un élu du peuple. Même pose, même cadrage, avec le buste coupé court, même économie de détails … les analogies qu’on peut faire entre ce grand châssis et la guillotine portent non seulement sur le dispositif et la mécanisation des procédures mais aussi sur l’aspect raccourci de ces corps cadrés haut. Toutefois, ces portraits illustrent aussi la troisième vertu défendue par la Révolution, associée après coup à la liberté et à l’égalité : la fraternité. En uniformisant la représentation des visages, le physionotrace donne à tous un air de famille à une époque où la famille constitue justement le nouveau modèle social (voir les tableaux de Greuze), y compris dans la façon dont on se représente l’Humanité idéale. Quoique fugitive, l’allusion de L.-S. Mercier au portrait mécanisé va dans ce sens. Tandis qu’il entame une rêverie lavatérienne sur les ressemblances morphologiques qu’il a constatées entre les individus les plus divers, preuve à ses yeux qu’une « souche[64] » unique relie tous les hommes, il tombe sur une vitrine de physionotraces qu’on peut identifier comme appartenant à Quenedey puisque la scène se situe au Palais-Royal où il avait son atelier :
Mais ce que je désirais, le voilà sous mes yeux ; c’est le physionotrace, cette invention charmante qui offre aux curieux l’assemblage le plus varié et le plus nombreux des portraits des deux sexes. Je m’y attache en rêvant, et pendant ce temps la foule me coudoie, elle me meurtrit le dos. Je me retourne et je classe tous ces individus dans des familles auxquelles j’ai donné des noms qui ne sont connus que de moi[65].
Sans se connaître, hommes et femmes affichés en vitrine se voient réunis par les liens du portrait et les « assemblages » auxquels ils participent, donnant ainsi à la structure familiale une existence idéalement élargie. Entre la cour dégénérée de Louis XVI et les sans-culottes que L.-S. Mercier abhorre davantage encore, les physionotraces dessinent l’espace moral et serein d’une société pacifiée comme pouvait la rêver la bourgeoisie désormais au pouvoir ; occupant le juste milieu entre les extrêmes, elle est à plus d’un titre cet « art moyen » dont parlera Pierre Bourdieu à propos de la photographie.
Le plaisir que l’écrivain prend à s’abîmer dans ces images révèle dans le même temps la part d’écran qu’elles constituent par rapport à la réalité en dépit de leur prétention à montrer la vérité des choses. Le refuge qu’elles représentent ici contre les heurts et les violences de la rue est le même pour qui se souvient aujourd’hui du contexte éruptif dans lequel elles ont été faites. En reproduisant fidèlement les traits, ces images atteignent la nature du modèle mais occultent aussi l’essentiel de son rapport à l’Histoire. Ce que cachent toutes ces faces pourtant exposées sans fard ce sont bien sûr les sanglantes rivalités ayant opposé leurs propriétaires, Marie-Antoinette et Robespierre, mais aussi les Girondins et les Montagnards que l’appareil portraiture pourtant de la même façon. Qui connaît un peu la période peut-il regarder le visage de Madame Roland sans penser au fameux « O Liberté, que de crimes on commet en ton nom » qu’elle lança stoïquement au pied de l’échafaud où Robespierre l’avait envoyée en même temps que son mari ? « La fraternité ou la mort » annonçait une sentence de l’époque, dont L.-S. Mercier ne manque pas de souligner le caractère profondément paradoxal[66] : cette alternative qui sonne comme une injonction n’est pas loin de structurer une partie de ces portraits, dont le fraternel recto masque un verso violent et funèbre.
L’oubli du contexte
Oublieux du diagramme des principes et des valeurs à l’aide duquel on jugeait en 1789, les siècles suivants auront tendance à transformer en marques négatives toutes les qualités qu’on vient de décrire. La simplicité, vertu contre-aristocratique par excellence, deviendra banalité, l’égalité civique que suggèrent ces profils identiques une coupable uniformité, la planéité mathématique une scandaleuse platitude, la vérité de la physionomie une morne réalité. Toutes ces réductions apparaissent ainsi dans cet extrait de La Maison d’un artiste d’Edmond de Goncourt, livre où se trouve décrite pièce par pièce la collection des deux frères et dans laquelle figurent des portraits au physionotrace :
Stéphanie-Louise de BOURBON. — Dessinée par Fouquet, gravée au physionotrace, par Chrétien. —La fausse fille naturelle du prince de Conti qui a écrit deux volumes sur sa prétendue légitimation. Un profil aigu, un nez pointu, un chignon lâche rattaché au haut de la tête, un maigre cou auquel pend une médaille[67].
Certes l’aigu du profil, le pointu du nez, la maigreur du cou et la minceur de la médaille reflètent la nature morale d’une personnalité dans laquelle Edmond ne voit que vanité et fausseté (« la fausse fille naturelle du prince de Conti »), mais on ne peut s’empêcher de lire aussi à travers toutes ces réductions une critique de l’image elle-même. Un tel commentaire montre que le physionotrace se rapproche étroitement de la caricature avec laquelle il partage la stylisation du visage, même si cette dernière y ajoute la déformation. Le profil recèle un potentiel comique contribuant à inverser les valeurs de courage, de vertu et d’énergie qu’on pouvait lui attribuer sous la Révolution en l’assimilant à celui des médailles romaines : illustrant la théorie de Bergson selon laquelle le comique naît quand du mécanique se plaque sur du vivant, le portrait géométrisé fait rire parce que les réductions qu’il opère placent le spectateur en position de supériorité.
Dans Ikon basilikê, recueil de textes offert en 1835 par des légitimistes à Henri V (1820-1883), plus connu sous le nom de Comte de Chambord et possible prétendant au trône contre Louis-Philippe[68], un certain François Deschamps intitule « Le physionotrace[69] » un chapitre décrivant sur le ton de l’exécration une galerie de portraits représentant le Roi, ses ministres ainsi que sa famille. L’argent étant devenu, au grand dam des Bourbons, la principale préoccupation du pouvoir en place, le narrateur propose sarcastiquement à Louis-Philippe de lui procurer, par le biais de ces images, des portraits ressemblants à bon marché. Là aussi les portraits écrits opèrent toutes sortes de réductions sur les têtes concernées : « dans des cadres de taille différente vous pouvez voir des principicules qui se ressemblent[70] » annonce le narrateur à propos des ministres du Roi avant de faire porter la réduction sur le physique des intéressés. Le ministre du conseil sera ainsi « un fourreau sans lame, une vieille arquebuse crevée[71] » et la Reine une « femme au front étroit, au corps disgracieux[72] ». Notons que la photographie, parce qu’elle saisit les corps avant leur forme et sans réduction notable, pourra moins facilement être tirée du côté de la caricature, si bien qu’il faudra à Marcelin[73] toutes les ressources du dessin pour l’en rapprocher dans son article satirique du Journal amusant (1856).
En insistant sur le caractère bon marché du physionotrace, le pamphlet de F. Deschamps montre bien comment les valeurs économiques se sont progressivement substituées à la philosophie politique dans la façon dont on perçoit cette image, entraînant corrélativement une assomption du corps réduit à son apparence, puisque la relation au réel que l’économie favorise est fondée sur l’appropriation matérielle des choses et leur consommation. L’image comme l’argent n’est plus qu’un équivalent : elle convertit l’objet en signe pour en permettre la jouissance, même si, contrairement à la monnaie, l’outil de conversion qu’elle offre n’est pas universel mais reste solidaire de la réalité dont elle est le tenant-lieu. Tiraillé entre les idéalités que suggèrent encore ses formes géométriques et les particularismes corporels qu’il est le seul, dans les années 1830, à fixer aussi précisément, le physionotrace affiche plus que jamais son rôle de transition, non seulement entre deux systèmes de valeurs, mais aussi entre deux médias (la gravure et la photographie) et, à travers eux, entre deux siècles.
On pourrait en rester là si, en associant le réalisme des traits à l’universalité de principes psychologiques et moraux, ce type d’image n’affichait pas, dans le même temps et malgré tout, sa contemporanéité avec un courant philosophique jouant le même rôle historique de transition : le sensualisme, pour qui nos idées ne sont pas innées mais viennent toutes de nos sens ainsi que de leur combinaison. On trouve dans les deux cas la même liaison entre l’extrême particularité de l’impression reçue et la généralité du concept — soit l’idée juste qu’un portrait peut donner d’une personne à partir de l’impression visuelle exacte qu’il en procure, dans le cas du dessin mécanisé. Locke lui-même, dont l’empirisme est à l’origine du sensualisme en France, préconise l’usage de l’illustration dans l’accès des enfants à la connaissance[74], destinant ainsi depuis longtemps l’image à faire le lien entre une perception précise des choses et l’acquisition de ces idées générales sans lesquelles aucun savoir n’est possible.
Ce dernier rapprochement entre image et discours resterait pure conjecture si Stendhal, qui est un grand admirateur des sensualistes, ne s’était pas fait faire en 1807 son portrait au physionotrace à Paris, chez Quenedey semble-t-il[75]. Indépendamment des codes de l’esthétique romantique qui se sont invités entre temps dans l’image — fond ténébreux et chevelure avantageuse — l’auteur des Souvenirs d’égotisme trouve-t-il dans cette technique un écho à son œuvre[76] ? Voit-il dans le mélange de réalisme et d’idéalisme propre à la ressemblance géométrisée une synthèse équivalente à celle qu’il opère lui-même quand il confronte les idées générales, dont il se méfie instinctivement, au « petit fait vrai », sans renoncer pour autant aux idéaux des Lumières hérités de son grand-père ni à la foi des philosophes dans la science ? N’est-ce pas enfin la même liaison qu’on retrouve à travers les griffonnages schématiques dont il accompagne l’évocation de sa jeunesse dans la Vie de Henry Brulard, puisqu’ils entendent fixer chaque souvenir dans sa singularité à partir de simples repères géométriques ? Si le parallèle s’avérait possible, il prouverait que le physionotrace maintient aux yeux de certains contemporains, et en dépit des intérêts économiques du moment, un lien avec la vérité. Là encore peu de documents autour du portrait, mais une nouvelle occasion d’étudier la façon dont les textes et les images redéfinissent ensemble, à un moment donné de l’Histoire, leur relation au réel.
Philippe Ortel
Université de Toulouse-Le Mirail
Notes
- On peut lire dans le Journal général de France (n° 24, jeudi 24 février 1785, p. 95) à la rubrique « Inventions » : « Monsieur Chrétien, musicien de la chapelle du roi, vient d’imaginer un instrument, par le secours duquel on fait un portrait, suivant une grandeur donnée ; de profil ou de trois-quarts, en trois ou quatre minutes, sans savoir dessiner. Le prix de cette Machine n’excède pas celui de 24 livres ». Juste après est annoncée l’invention d’un compas à trois branches permettant de réduire les figures géométriques (triangle, etc.) sans avoir recours au pantographe. La mécanisation du dessin donne lieu à de multiples recherches. [↩]
- Information donnée dans Le Moniteur universel, 1812, p. 998. On peut voir le dessin en ligne sur plusieurs sites, notamment http://users.telenet.be/thomasweynants/precursors.html (consulté le 15 juin 2012). Pour une histoire du physionotrace voir René Hennequin, Edme Quenedey des Riceys (Aube), portraitiste au physionotrace, Troyes, Société académique du département de l’Aube, 1926. L’ouvrage n’existe plus qu’à quelques exemplaires et comprend un second volume sans nom d’éditeur : Un « photographe » de l’époque de la Révolution et de l’Empire. Edme Quenedey, des Riceys (Aube) portraitiste au physionotrace, 2eme partie, son œuvre (1788-1829). Pour l’iconographie voir notamment Henri Koilski, Serge Nègre, Avant la photographie, le physionotrace, Cahier n° 1 du Musée Arthur Batut, 1989. [↩]
- On en trouve un certain nombre sur le site Gallica de la Bibliothèque Nationale. Par exemple à l’adresse http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84215227.r=.langFR (consulté le 15 juin 2012). [↩]
- Henri Bouchot, Le Cabinet des estampes de la Bibliothèque nationale, Paris, Edmond Dentu, 1895, p. 32. [↩]
- Des études récentes montrent que Marey privilégie, avec la chronophotographie, l’analyse du mouvement parce que son but est scientifique, alors que les frères Lumière travaillent à sa synthèse pour faire du spectacle. Ces deux finalités opposées, l’une tournée vers la connaissance, l’autre vers la pure illusion, montrent à elles seules le fossé séparant deux inventions pourtant très proches techniquement, puisque reliées par la production de photogrammes. Dans une importante étude (« Marey et la synthèse du mouvement », Ciné-dispositifs, sous la dir. de François Albera et Maria Tortajada, Lausanne, l’Age d’Homme, 2011, p. 96-118) Maria Tortajada renouvelle la question en faisant passer la rupture au cœur même de la notion de synthèse : le ralenti, synthèse utilisée par Marey lui-même dans un but analytique, s’oppose à la synthèse conçue comme flux indécomposable. Maria Tortajada montre ainsi exemplairement comment le même procédé technique appartient à deux épistémès différentes, l’une valorisant la discontinuité jusque dans la synthèse (le ralenti), l’autre la continuité à une époque où elle s’empare des imaginaires (le début du XXe siècle voit simultanément triompher le cinématographe et le bergsonisme). [↩]
- D’où le titre de l’article. Merci à Christine Calvet de me l’avoir suggéré. [↩]
- Jean Gaspard Lavater, Essai sur la physiognomonie, traduit par Antoine-Bernard Caillard, Marie-Elisabeth de La Fite et Henri Renfner, La Haye, s.n.d, 1781-1803, 4 vol. La planche de l’appareil à silhouette est dans le tome 2 (1783), p. 161. [↩]
- René Hennequin, Un « photographe » de l’époque de la Révolution et de l’Empire. Edme Quenedey, des Riceys (Aube) portraitiste au physionotrace, 2eme partie, son oeuvre (1788-1829), sans éd., p. 88, note 2. [↩]
- Bibliothèque physico-économique, instructive et amusante…, Paris, Buisson, 1789, t. 1, p. 324. Sur la couleur comme gage de réalisme dans l’estampe du XVIIIe siècle, voir le cas des planches anatomiques de Jacques Fabien Gautier d’Agoty (1759) étudiées par Monique Sicard dans La Fabrique du regard, Paris, Odile Jacob, 1998, p. 85 et suiv. [↩]
- Rubrique « Irréversibilité » dans « abécédaire », Les Cahiers de médiologie. Pourquoi des médiologues, n° 6, 1998, p. 275. [↩]
- A ma connaissance, la notion a été exploitée sur un plan théorique pour la première fois par Louise Merzeau dans sa thèse Du scripturaire à l’indiciel. Texte, Photographie, Document sous la dir. de Nicole Boulestreau, Paris X, 1993. [↩]
- J’emprunte l’information à René Hennequin (op. cit). [↩]
- Bibliothèque physico-économique, instructive et amusante…, op. cit., t. 1, p. 324. [↩]
- Pascal Griener, « Le génie et ses symptômes — un art de la trace », La République de l’œil. L’expérience de l’art au siècle des Lumières, Paris, Odile Jacob, 2010, p. 198. L’auteur cite Roger de Piles disant de l’artiste que « faisant un dessin, il s’abandonne à son Génie, et se fait voir tel qu’il est ». [↩]
- Charles Baudelaire, « Le public moderne et la photographie », Salon de 1859, Œuvres complètes, éd. par Claude Pichois, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1976, t. II, p. 616. [↩]
- Quatremère de Quincy, Essai sur la nature, le but et les moyens de l’imitation dans les beaux-arts, Treuttel et Würtz, 1823, p. 25. [↩]
- Ibidem. [↩]
- Il condamne « ceux qui voudraient que la servilité du pantographe et de la chambre noire, fût la mesure de la vérité pittoresque » (Ibid., p. 121). [↩]
- L’abus, explique-t-il, consiste à « confondre la ressemblance par image, ou celle des beaux-arts, avec la similitude par identité, ou celle des arts mécaniques » (Ibid., première partie, paragraphe II, p. 8-9). Cette dernière relève de la « réalité » plutôt que de « l’image » dans la mesure où « moralement » elle vise à confondre l’objet et sa copie au lieu de nous procurer le plaisir de les comparer, plaisir que seule la distance entre les deux autorise (Ibid., p. 11). [↩]
- Bibliothèque physico-économique, instructive et amusante…, op. cit., t. 1, p. 323. [↩]
- Ibid., p. 324. [↩]
- Roger de Piles, « De l’air relativement au portrait », Cours de peinture par principes, Paris, C.-A. Jombert , 1766 [1e éd. 1708], p. 208. [↩]
- Ibidem. [↩]
- Op. cit., t. 1, p. 322. [↩]
- Ibid., p. 323. [↩]
- Une journée d’étude consacrée à L’art du portrait en France de 1760 à 1840 : stratégies commerciales et modèles économiques (Université Lumières Lyon II, LAHRA-CNRS) traitera cette question. Elle doit paraître en 2012-2013 sur le site du LAHRHA (http://larhra.ish-lyon.cnrs.fr/Equipes/Art_imaginaire_societe_fr.php Consulté le 15 juin 2012). [↩]
- Lavater écrit à propos de la division du visage en une partie intelligente (le front), morale et sensible (le nez et les joues) enfin animale (la bouche et le menton), avec l’œil comme « sommaire de tout » : « Toute la science physiognomonique […] repose sans contredit sur ces propositions universelles et incontestables. » (op. cit., Partie 1, second fragment, p. 20. Je souligne). [↩]
- Roger de Piles explique que pour qu’un portrait soit vivant il faut que « les portraits semblent nous parler d’eux-mêmes » (p. 119) puisque « les attitudes sont le langage des portraits » (p. 220). Ce discours, consiste, pour chacun, à se présenter à celui qui le regarde. Cette conception oratoire ou simplement conversationnelle du portrait est battue en brèche par le regard pré-scientifique du lavatérien qui cherche en l’autre davantage que ce qu’il avoue de lui-même. Le visage-document est passif, comme est passive la façon dont le client s’abandonne au physionotrace. [↩]
- Madame Roland, A Lavater, à Zurich, 7 juillet 1788, Lettres de Madame Roland, éd. par Claude Perroud, Paris, Imprimerie nationale, 1902, t. II (1788-1793), lettre 304, p. 21. Je souligne. [↩]
- Collection complète des portraits de MM. les Députés à l’Assemblée nationale de 1789, Paris, chez le sieur Dejabin, marchand d’estampes et éditeur de cette collection, place du Carrousel, 4 vol. in-4 et Portraits des Députés à l’Assemblée nationale de 1789, Paris, Levachez, in-4°; 27 cahiers, en noir ou coloriés. [↩]
- L’école genevoise triomphe dans cette technique (entre 1760 et 1830). [↩]
- Ainsi s’explique, économiquement parlant, le triomphe du portrait sous la Révolution selon Jean-François Heim, Claire Béraud et Philippe Heim en prenant l’exemple de Prudhon contraint de faire des miniatures à son retour d’Italie en 1789 (Les Salons de peinture de la Révolution française : 1789-1799, Paris, Centre d’Art Contemporain/Galerie Heim, 1789, p. 24). [↩]
- B***, Critique sur les tableaux exposés au salon en l’an IV, Paris, Imprimerie de Madame Herissant, Le Doux, p. 7. Parmi les noms cités, celui d’Isabey qu’il distingue du lot. [↩]
- Comme le montrent les sites de vente d’images anciennes en ligne (par exemple, http://we-art-together.fr/produit.php?id=79, consulté le 15 juin 2012). [↩]
- « Je ne vous dis pas combien votre portrait m’a fait plaisir : c’est en vous envoyant celui de mon mari que je veux vous en remercier, mais je n’en ai pas encore un de bien fait, et j’aurai recours aussi au physionotrace. » (Madame Roland, A Lavater, à Zurich, 18 novembre 1792, Lettres de Madame Roland, op. cit., lettre 503, p. 441). [↩]
- Depuis Brunswick avec au dos de l’image la date du 7 juillet 1807 et l’inscription suivante : « Qu’un ami véritable est une douce chose » (voir à ce sujet : Jacques-Félix Faure, Un compagnon de Stendhal, Félix-Faure pair de France, Aran, Editions du Grand Chêne, 1978, p. 42). [↩]
- Voir Louis Prudhomme, Miroir de l’ancien et du nouveau Paris, éd. par Prudhomme-fils, Paris, 1806, t. II, p. 153. A la rubrique « Cabinet de Miniature et de Physionotrace » les adresses de Chrétien et Quenedey sont données ainsi que le prix du portrait. On indique que le client doit prendre rendez-vous chez Chrétien et l’on conseille au lecteur d’essayer aussi la silhouette, pratiquée par un certain Augustin fils. Les ateliers de silhouettes apparaissent régulièrement dans les guides antérieurs. [↩]
- Selon Hennequin la Bibliothèque Nationale possède 2800 portraits au physionotrace, le Musée Carnavalet 600 (nous sommes en 1926). Ce sont plusieurs milliers de portraits qui sont produits entre 1785 et les années 1830. [↩]
- A ce sujet voir Le Dispositif. Entre usage et concept, Hermès, n° 25, dir. par Geneviève Jacquinot-Delaunay et Laurence Monnoyer, Paris, CNRS, 1999 et Discours, image, dispositif, sous la dir. de Philippe Ortel, Paris, L’Harmattan, 2008. [↩]
- Sur ce point voir Jean-François Heim, Claire Béraud, Philippe Heim, Les Salons de peinture de la Révolution française : 1789-1799, op. cit., p. 37. [↩]
- Cette estampe est disponible sur le site Gallica de la Bibliothèque Nationale à l’adresse : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b69468811.r=.langFR (consulté le 15 juin 2012). [↩]
- Condorcet, « Sur le sens du mot révolutionnaire » (1793), Œuvres de Condorcet, éd. par A. Condorcet, O’ Connor et M. F. Arago, Paris, Firmin Didot frères, 1847, t. XII, p. 618. Je souligne. Ni retour au droit carolingien, ni au droit franc, la nouvelle constitution ne s’inspire pas des origines de la monarchie mais directement de la Nature et de la Raison. [↩]
- Jules et Edmond de Goncourt, Journal, éd. par Robert Ricatte, Paris, Robert Laffont, « Bouquins », 1989, t. I, 21 décembre 1856, p. 224. [↩]
- Ibidem. [↩]
- Antoine de Baeque, Le Corps de l’histoire, Métaphores et politique (1770-1800), Paris, Calmann-Levy, p. 289. [↩]
- Le site Gallica offre les « plans géométraux » établis au XVIIIe siècle comme celui de la ville de Lyon (http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8440708w.r=.langFR Consulté le 15 juin 2012) et le « géométral » de plusieurs bâtiments vus en coupe (voir par exemple http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b7703125p/f1.item Consulté le 15 juin 2012). [↩]
- Voir note 27. [↩]
- Antoine de Baeque, « Le grand spectacle de la transparence », Le Corps de l’histoire, op. cit., p. 286 et suiv. [↩]
- Patrick Désile, « “On ne sait plus où l’on est”. Dispositif et vertige », Ciné-dispositifs, sous la dir. de François Albera et Maria Tortajada, Lausanne, l’Age d’Homme, 2011, p. 85-86. L’auteur ramène au même geste de dévoilement la silhouette, le physionotrace, avec sa neutralité, et le visage du guillotiné dont la mort a fait tomber le masque (p. 85-86). Sur ce dernier point, voir aussi Daniel Arasse, « Guillotine et portrait », La Guillotine et l’imaginaire de la Terreur, Paris, Flammarion, 2010 [1e édition 1987], p. 213 et suiv. [↩]
- Bibliothèque physico-économique, instructive et amusante…, op. cit, t. 1, p. 322. [↩]
- Ibid., p. 323. [↩]
- Op. cit., « Addition de la physiognomonie en général », p. 27. Je souligne. [↩]
- Diderot explique que le portrait est raté parce qu’il a été dérangé par la femme de Van Loo : « […] il fallait le laisser seul et l’abandonner à sa rêverie. Alors sa bouche se serait entrouverte, ses regards distraits se seraient portés au loin, le travail de sa tête fortement occupée se serait peint sur son visage, et Michel eût fait une belle chose. » (Diderot, Salon de 1867 dans Œuvres, éd. par Laurent Versini, Robert Laffont, 1996, t. IV, p. 532). [↩]
- Louis-Sébastien Mercier, Paris pendant la Révolution (1789-1798), ou Le Nouveau Paris, Paris, Poulet-Malassis, 1862, t. I, p. 37. [↩]
- Claude-Joseph Dorat, Les Sacrifices de l’amour, livre numérique en ligne, Editions du Boucher, 2006 [d’après l’éd. de 1772], Lettre LXIV, p. 151. Je souligne. [↩]
- Mémoires de Madame Roland, éd. par Berville et Barrière, Paris, Baudouin Frères, 1821, t. I, p. 84. [↩]
- Ibid, p. 83. [↩]
- Ce point a été traité par Antoine de Baeque dans « Le grand spectacle de la transparence », Le Corps de l’histoire, op. cit., p. 286 et suiv. L’auteur insiste sur la dimension scientifique que l’illustration donne à l’ouvrage de Lavater, en dépit de son profond mysticisme, ainsi que sur la « transparence du corps » (p. 288) obtenue par le physionotrace. [↩]
- Anecdote racontée par Jules Claretie, d’après un article du Moniteur, dans sa notice des Ruines de Volney (Paris, Décembre-Allonier, 1869, p. XX). [↩]
- La recension, anonyme, porte sur Lettres à Mme de Fronville sur le psychisme par J-S. Quesné. Le portrait est de Bouchardy, qui se présentait comme le successeur de Chrétien et de Quenedey (Journal des arts, de littérature et de commerce, n° 250, 30 septembre 1813, p. 420). [↩]
- Cité par Jules Renouvier, Histoire de l’art pendant la Révolution, Paris, Veuve Jules Renouard, 1863, p. 448. Je souligne. Cet ouvrage érudit fourmille d’informations sur l’industrie du portrait politique sous la Révolution. L’inscription complète, située sous le portrait, est en réalité composée de 4 vers : « Digne par ses vertus des plus beaux jours de Rome, / Il sut en citoyen servir la Liberté. / France, ne rougis point : tu n’as pas produit l’homme /Qui l’a persécuté » (cités dans Archives de l’art français, recueil de documents inédits publiés par la société de l’histoire de l’art français. Nouvelle période, Paris, Jean Schemit, 1907, t. I, document n° 137). Il ne s’agit pas d’un physionotrace. [↩]
- Comme le note Léonard Snetlage dans Nouveau dictionnaire français contenant les expressions de nouvelle création du peuple français : ouvrage additionnel au dictionnaire de l’Académie française et à tout autre vocabulaire, Gottingue, Jean-Chrétien Dieterich Libraire, 1795. « Manifestation » qui se disait des vœux religieux concerne désormais « la manière de se prononcer sur tout autre objet soit moral soit politique. (manifestation de ses sentiments) » (p. 138). De fait le Dictionnaire de l’Académie française de 1762 indique que manifestation « n’est en usage que dans les matières de Religion » en donnant pour exemple « la manifestation du Verbe ». [↩]
- Edmond et Jules de Goncourt, Histoire de la société française pendant la Révolution, Paris, Bibliothèque Charpentier, 1895, p. 66. [↩]
- Louis-Sébastien Mercier, Paris pendant la Révolution (1789-1798) ou Le Nouveau Paris, Paris, Poulet-Malassis, 1862, t. II, p. 373. [↩]
- Ibid., p. 373-374. [↩]
- Louis-Sébastien Mercier, Paris pendant la Révolution (1789-1798), op. cit., t. I, ch. XCV, p. 417. [↩]
- Edmond de Goncourt, La Maison d’un artiste, Paris, Charpentier, 1881, t. II, p. 132-133. [↩]
- D’autres légitimistes lui préfèrent son oncle Louis XIX, duc d’Angoulême jusqu’à sa mort en 1844. [↩]
- François Deschamps, « Le physionotrace », Ikon basilikê, Leipzig, Barth, 1835, p. 255 et suiv. [↩]
- Op. cit., p. 256. [↩]
- Ibid., p. 257. [↩]
- Ibid., p. 262. Je souligne. [↩]
- Marcelin, « A bas la photographie !!! », texte et dessins par Marcelin, Journal amusant, n° 36, 6 septembre 1856, p. 1 et suiv. [↩]
- « Si son exemplaire d’Esope contient des illustrations, cela l’amusera encore plus, et l’encouragera à lire, à condition pourtant que ces images soient de nature à accroître ses connaissances. Car c’est en vain et sans aucun intérêt que les enfants entendent parler des objets visibles, s’ils n’en n’ont pas l’idée ; et cette idée, ce ne sont pas les mots qui peuvent la leur donner, ce sont les choses elles-mêmes ou les images des choses. » (John Locke, Quelques pensées sur l’éducation, trad. par Gabriel Compayré, Paris, Hachette, 1882, p. 246.). [↩]
- L’image est disponible en ligne (http://www.armance.com Consultation le 15 juin 2012). [↩]
- Contrairement au portrait peint qu’il demande curieusement à Boilly la même année. [↩]